Événement

Raconter, rétablir: esthétique de la rectification chez Jean-Philippe Toussaint et Mathieu Lindon

Auteur(s): 
Voyer, Marie-Hélène
Référence bibliographique: 
Paris, Éditions de Minuit, 2006
18 pages.
Paris, P.O.L., 2002
62 pages.

Les écrivains adoptent une posture rectificative et opèrent un renversement de signification face à cet événement médiatisé; Toussaint transforme un sacrilège sportif en un coup de maître formaliste, en un pur moment littéraire, alors que Lindon met en évidence la lâcheté d’une compagnie qui affirme avoir agi correctement au nom de «mesures de sécurité». Dans les deux cas, les auteurs décontextualisent l’Événement pour le rapatrier dans le champ du romanesque et de la création (sur un ton empathique chez Toussaint et ironique chez Lindon)

Le visage de l'histoire

Leguerrier, Louis-Thomas
Montréal, Héliotrope, 2011
304 pages.

Si le Raskolnikov de Dostoïevski, dans Crime et châtiment, représente le meurtrier qui par son crime et par la conscience de la culpabilité qui en découle réussit à communier, dans le repentir, avec la communauté humaine universelle, si la Thérèse Raquin de Zola représente au contraire celle dont le crime comme la déchéance qui en découle reconduisent la destruction de cette même communauté, Smokey Nelson, pour sa part, est le meurtrier séparé de son crime et sans rapport avec celui-ci, la possibilité d'un tel rapport lui ayant été confisquée. Coupé de la terrible expérience faite par l'assassin que la police oublie d'inquiéter, celle de la vie qui se poursuit même après être apparue si facile à réduire en miette, brusquement retiré de l'histoire pour être enfoui dans l'immobilité du temps carcéral, il ne parvient plus à faire le lien, de même qu'il ne peut plus en établir entre ses crimes et l'exécution qui, plus de quinze ans après, est supposée les punir, entre sa personne et ceux-ci.

L'art de la légèreté

Parent, Marie
New York, Alfred A. Knopf, 2009
322 pages.

La «légèreté» dont je tenterai de cerner les contours et les conséquences ici est à la fois ce qui fait la réussite et l’échec de ce roman initiatique déconcertant, portrait d’un sujet à côté de lui-même, incapable de rendre l’ampleur des drames qui s’abattent sur lui, comme si le réel devenait insoutenable au point de ne pouvoir être raconté sérieusement. Comme s’il ne pouvait que prendre la forme d’une anecdote vaguement embarrassante, d’une blague un peu ratée. Ce roman pose, dans la précarité même de sa forme, la question du rapport au tragique en littérature contemporaine. Ici, la fiction semble «glisser» à côté de l’horreur sans jamais vouloir y faire face. Et pourtant elle nous laisse entrevoir toutes ses potentialités. Ce qui est peut-être encore plus effrayant.

Entretien avec Mathieu Arsenault

Salon double
Arsenault, Mathieu
L’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle

«Ce que j’aime de ce projet, c’est que nous essayons de maintenir délibérément le flottement entre la parodie d’académie et l’institution sérieuse. Si nous essayons de garder le côté mordant des prix, nous effectuons maintenant la sélection avec plus de sérieux qu’au début, car d’une part, nous sentons un réel engouement de la communauté littéraire pour notre entreprise et d’autre part, on y voit également l’occasion de donner une représentation des différentes potentialités de forme et de contenus littéraires propres à notre époque.»

Des charognes et des hommes

Grenier, Daniel
Montréal, Marchand de feuilles, 2010
273 pages.


Il est difficile, à la lecture du premier roman de William S. Messier, Épique, de ne pas se souvenir de cette lettre-ouverte aux jeunes romanciers que Victor-Lévy Beaulieu avait fait paraître dans La Presse, il y a de cela quelques années. À l’époque, la lettre avait créé tout un émoi dans la communauté littéraire et avait forcé les écrivains visés directement et indirectement à réagir ainsi qu’à prendre position. Beaulieu reprochait plusieurs choses aux écrivains de la génération montante, comme leur absence d’expérimentation langagière, leur renfermement sur eux-mêmes et leur obsession pour un Plateau Mont-Royal de trentenaires désabusés. Il les accusait de ne pas s’intéresser à leurs ancêtres et de se confiner à une étude fragmentaire et fragmentée de leur propre nombril.

Exercice de style en dix-huit crimes

Guilet, Anaïs
Paris, Gallimard (L'arbalète), 2010
356 pages.
Le lecteur ne peut définir exactement le style de Thomas Clerc et cependant se doit de relier les modes d’écriture choisis par l’auteur aux crimes qu’il décrit. La nouvelle inaugurale est des plus troublantes en la matière. Les jeux de mots grivois, le style très oralisé, les descriptions crues, utilisés par l’auteur semblent en totale opposition avec l’univers intellectuel que l’on associe à Roland Barthes. Toute la nouvelle est focalisée à la première personne du singulier sur le futur meurtrier du célèbre essayiste.

La plus petite unité de temps

Côté-Fournier, Laurence
Paris, Gallimard, 2008
241 pages.

C’est du délicat balancement entre intime et collectif que naît la singularité du livre, impossible à réduire à une catégorie générique. Pas de personnages, pas de récit, plutôt une collection de fragments bruts, déversés sans aucun pathos, qui mettent côte à côte des souvenirs de voyage et des scènes de films, des échos de la rumeur publique et des rappels historiques. Dispersés de 1940 à la fin des années 2000, ils dressent ensemble le portrait d’une génération, exprimé à travers le «elle», le «on» et le «nous», jamais le «je». Ce qui aurait pu se transformer en une suite de lieux communs et d’anecdotes sans grand intérêt sur différentes époques est récupéré par la volonté de l’auteure de se compromettre pour révéler le corps nu de chacune de ces années, d’exposer son expérience intime pour la perdre dans une réalité plus vaste.

Fiction de la vérité, vérité de la fiction

Dulong, Annie
Écrire le 11 septembre

De la vérité à la fiction, de la fiction à la réalité, l’écriture semble ainsi établir les frontières pour mieux les brouiller. Peut-être vient-il toujours un moment, lorsqu’on écrit, où l’on s’interroge sur la vérité. Mais il s’agit d’une vérité relative, liée davantage à une vérité de l’expérience qu’à l’authenticité des faits. Le principe même de la fiction, son exigence, semble nous placer à l’extérieur des choses, dans la distance nécessaire à la transformation du matériau. Mais que se passe-t-il lorsque la distance nécessaire nous semble hors d’atteinte?

La rassurante présence des déclassés

Paquet, Amélie
Paris, Grasset, 2002
222 pages.
Paris, Livre de poche, 2004
245 pages.
Dans les deux derniers romans de Virginie Despentes, Teen Spirit [2002] et Bye Bye Blondie [2004], les divisions de classe ne sont pourtant pas désuètes; elles sont bien au contraire au cœur des déchirements que vivent les personnages qu’ils mettent en scène. J’aimerais réfléchir à cette tension importante dans ces romans entre prolétaire et bourgeois afin de comprendre pourquoi Despentes juge pertinent d’utiliser ces nominatifs dans un contexte littéraire. Elle tire ces catégories de la culture politique punk de gauche radicale, qui s’est complètement réappropriée le vocabulaire marxiste.

Un bourgeois en proie aux événements

Paquet, Amélie
Montréal, Leméac, 2006
253 pages.

La tranquillité n’est que de courte durée, mais pour un jeune héros de la terre, tous les défis sont bons. Le loup vient de surgir. La panique s’installe en montagne et les cadavres de moutons se multiplient. «Vais-je abdiquer? Me rendre à l’évidence que je ne suis qu’un idéaliste de l’ovin? » L’idéal n’a pas de prix et se nourrit, malgré tout, de ses déceptions.

 

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