Ambiguïté

Emporter le paradis d'un seul coup

Auteur(s): 
Brousseau, Simon
Référence bibliographique: 
New York, Penguin Books , Submitted
310 pages.
Toronto, Harper Perennial, 2001
609 pages.

Dans tous les cas, la drogue est un moyen pour les écrivains de réfléchir à notre rapport au monde: déchirés entre le désir et le manque, nos contemporains connaissent eux aussi la compulsion, la tentation des objets qui chantent à l'unisson, comme dans un dessin animé de Disney qui aurait tourné au cauchemar: «Consomme-nous! Consomme-nous! Quand tout sera consumé, tu seras au Paradis.» Il est peut-être banal d'affirmer que tout peut potentiellement être une drogue: l'amour, le sexe, le café, le dessert, mais il l'est sans doute moins de pousser à termes le raisonnement. Le fait de s'investir affectivement dans la consommation laisse entrevoir une forme de vide. De quelle nature est ce vide? C'est la question que la drogue pose. Et comme il existe plusieurs sortes de drogues, il doit exister aussi plusieurs sortes de vide, ou plusieurs façons de s'y abandonner.

Un roman français : un phénomène de réminiscence planifié

Gauthier, MélissaJane
Paris, Grasset, 2009
281 pages.

Un roman français est alors ponctué de résurgences diverses, de souvenirs qui réapparaissent comme des «boomerang[s] spatio-temporel[s]» (p.175). Le simple fait d’être enfermé semble permettre le retour du passé oublié, «il suffit d’être en prison et l’enfance remonte à la surface» (p.46). Même s’il affirme à de nombreuses reprises que rien ne lui revient jamais, que son enfance demeure une énigme, que ses souvenirs relèvent du domaine de l’inaccessible, le narrateur parvient à recoller les morceaux du «puzzle» (p.174). Il suffisait de le priver de sa liberté: «Tapez sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire» (p.128).

Should I Stay or Should I Go? Être indécis en compagnie de Mister Wonderful

Auteur(s): 
Berthiaume, Jean-Michel
Référence bibliographique: 
New York, Pantheon, 2011
80 pages.
Dossier Reférent: 

Nous ne serons jamais absolument certains de quelle perspective Clowes tentait d’illustrer dans Mister Wonderful. Il me semble évident que même avec un billet de confirmation signé de l’auteur lui-même nous serions toujours dans le doute d’un leurre probable venant de la part d’un fripon qui joue à beaucoup trop de jeux avec le lecteur pour être pris au pied de la lettre. Il m’apparaît difficile à argumenter que la valeur énigmatique de l’œuvre prendra toujours le dessus sur nos convictions. D’autant plus, chaque lecture du livre ne fera qu’engendrer d’autres lectures potentielles similaires aux soirées potentielles crées dans l’œuvre. Un nouveau lecteur peut donc se réjouir de faire la connaissance d’une œuvre qui comporte un vaste potentiel interprétatif. Nous devons donc nous contenter de lire Mister Wonderful qui restera toujours un mystère insoluble à la manière de la soirée décrite.  Le livre, réfléchissant sur soi-même, devient son propre rendez-vous manqué qui se déplie dans notre imaginaire comme un arbre des possibles.

Le syndrome de Stockholm. Daniel Clowes et l'équivocité

Auteur(s): 
Tremblay-Gaudette, Gabriel
Référence bibliographique: 
New Haven, Yale University Press, 2008
400 pages.
Dossier Reférent: 

Lire une des bandes dessinées de Clowes est un peu comme jouer au jeu du bunto (également appelé jeu des gobelets): on sait que l’objet est bel et bien caché sous l’un des trois contenants, mais on sait aussi que la personne qui s’occupe de les brasser est très habile, et que si d’aventure on parvenait à le trouver, ce serait peut-être seulement parce que la personne qui permute les gobelets à une vitesse sidérante nous a laissé gagner, afin de nous inciter à jouer à nouveau. C’est une manipulation de haute voltige, à laquelle nous donnons notre assentiment même si l’on se doute bien que les dés sont pipés.

Des ailes inutiles

Brousseau, Simon
Paris, Seuil, 2012
535 pages.

Si Jauffret a le mérite d'aborder de front la négativité de l'existence contemporaine, ses façons de faire peuvent laisser perplexe. Il a développé une voix narrative qui lui est propre, une vision du monde désacralisante qui donne souvent l'impression que les relations humaines se réduisent à une mécanique égoïste. L'expérience de lecture s'accompagne d'une série de questions auxquelles on ne saurait définitivement répondre: est-ce Jauffret qui est cynique, nihiliste, pessimiste, ou bien le monde qu'il décrit? Jauffret est-il un auteur réaliste? Et quand bien même le monde serait effectivement pourri de cynisme, est-ce que la tâche de l'écrivain peut se résumer à enfoncer davantage le clou? Ne fait-il pas déjà assez froid? Cette ambivalence qui parcourt l'œuvre de Jauffret lui confère toute sa valeur.

L'art de la légèreté

Parent, Marie
New York, Alfred A. Knopf, 2009
322 pages.

La «légèreté» dont je tenterai de cerner les contours et les conséquences ici est à la fois ce qui fait la réussite et l’échec de ce roman initiatique déconcertant, portrait d’un sujet à côté de lui-même, incapable de rendre l’ampleur des drames qui s’abattent sur lui, comme si le réel devenait insoutenable au point de ne pouvoir être raconté sérieusement. Comme s’il ne pouvait que prendre la forme d’une anecdote vaguement embarrassante, d’une blague un peu ratée. Ce roman pose, dans la précarité même de sa forme, la question du rapport au tragique en littérature contemporaine. Ici, la fiction semble «glisser» à côté de l’horreur sans jamais vouloir y faire face. Et pourtant elle nous laisse entrevoir toutes ses potentialités. Ce qui est peut-être encore plus effrayant.

Le narrateur en commentateur ou la fascination du métadiscours

Simard-Houde, Mélodie
Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2010
337 pages.

Mon nom est personne est un livre hétérogène, où la fiction flirte avec l'essai, sous l'égide d'une voix narrative faisant preuve d'un goût certain pour l'absurde et le cynisme. Alors que certains fragments prennent la forme de nouvelles absurdes ou de contes modernes et grinçants se référant à des événements qui saturent notre discours social, d'autres mettent en scène un Je-écrivain qui fréquente les bibliothèques et les résidences de l'Université Laval et qui fait preuve d'une forte prédilection pour l'oubli. Ailleurs, le narrateur se lance plutôt dans le commentaire, tel un enquêteur qui assemble pour nous les morceaux surprenants d'un casse-tête savant. Ce livre difficile à décrire a tout d'un bon piège à critique: on s'enlise dans le commentaire et on n'est guère plus avancé qu'au début.

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