Autoréflexivité

Révolution(s) abandonnée(s)

Tremblay-Gaudette, Gabriel
London, Visual Editions, 2012
80 pages.

Thirlwell annonce un programme esthétique qu’il n’endosse pas entièrement, ou du moins pas jusqu’au bout. L’éclatement du texte est certes spectaculaire aux premiers abords, mais l’auteur ne met pas complètement son procédé au service de sa diégèse. Si, comme je l’ai mentionné plus tôt, certaines incises ont une  motivation claire et qu’il emploie à l’occasion les ressources formelles des pages déployées avec brio, la plupart des incises ne font pas un usage bien motivé de la ressource, et la constante nécessité de retourner le livre dans tous les sens afin d’en lire des bribes conduit à l’agacement. L’auteur qui annonçait vouloir aller au bout de ses idées n’est pas parvenu à porter à bout de bras son projet.

Un roman français : un phénomène de réminiscence planifié

Gauthier, MélissaJane
Paris, Grasset, 2009
281 pages.

Un roman français est alors ponctué de résurgences diverses, de souvenirs qui réapparaissent comme des «boomerang[s] spatio-temporel[s]» (p.175). Le simple fait d’être enfermé semble permettre le retour du passé oublié, «il suffit d’être en prison et l’enfance remonte à la surface» (p.46). Même s’il affirme à de nombreuses reprises que rien ne lui revient jamais, que son enfance demeure une énigme, que ses souvenirs relèvent du domaine de l’inaccessible, le narrateur parvient à recoller les morceaux du «puzzle» (p.174). Il suffisait de le priver de sa liberté: «Tapez sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire» (p.128).

Un monde fantôme

Auteur(s): 
Bouchard, Eric
Référence bibliographique: 
Seattle, Fantagraphics, 1998
80 pages.
Dossier Reférent: 

Du monde fantôme au médium d’apparition et à la case spectrale, du brouillard de la mémoire à l’élément graphique-souvenir, des images du monde flottant à l’écoulement d’images, du « hanteur sous la pluie » au eavesdropper, ces différents concepts s’enchaînent, tressent un réseau de sens pour tenter de définir un médium dont l’impalpable définition semble justement toujours résider dans l’entre-deux, au propre comme au figuré.

Daniel Clowes - La ligne autoréflexive

Auteur(s): 
Widendaële, Alexandre
Référence bibliographique: 
New York, Pantheon, 2005
88 pages.
Dossier Reférent: 

Loin d’être une simple suite d’effets esthétiques, l’hétérogénéité graphique dans Ice Haven interroge en profondeur le support et plus précisément les possibilités de narration de la bande dessinée. Clowes fait reposer la narration de son album sur deux procédés narratifs différents: il allie l’économie du strip de presse aux possibilités de développement qu’offre l’absence de format arrêté du roman graphique. Le format horizontal et la référence au strip de presse, qui entrent en rupture avec une bonne part du corpus de l’auteur —qu’il interroge volontairement ou involontairement la généalogie du neuvième art— renvoient inévitablement à tout un pan de l’histoire de la bande dessinée américaine, à une narration qui se construit sur une logique d’efficacité: l’espace réduit, longtemps réservé aux strips quotidiens des journaux, comme le nombre de vignettes et la quantité restreinte de texte devaient à la fois faire avancer l’histoire, développer intrigue et personnages, tenir le lecteur en haleine jusqu’au lendemain et garder une certaine indépendance.

Le syndrome de Stockholm. Daniel Clowes et l'équivocité

Auteur(s): 
Tremblay-Gaudette, Gabriel
Référence bibliographique: 
New Haven, Yale University Press, 2008
400 pages.
Dossier Reférent: 

Lire une des bandes dessinées de Clowes est un peu comme jouer au jeu du bunto (également appelé jeu des gobelets): on sait que l’objet est bel et bien caché sous l’un des trois contenants, mais on sait aussi que la personne qui s’occupe de les brasser est très habile, et que si d’aventure on parvenait à le trouver, ce serait peut-être seulement parce que la personne qui permute les gobelets à une vitesse sidérante nous a laissé gagner, afin de nous inciter à jouer à nouveau. C’est une manipulation de haute voltige, à laquelle nous donnons notre assentiment même si l’on se doute bien que les dés sont pipés.

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