Poésie

La beauté bousculée

St-Laurent, Julie
Montréal, Éditions de l'Écrou, 2010
171 pages.

Dans un monde saturé d'images, de matériel, de gens, où il y a à peine de place pour soi, la subjectivité demeure une matière précaire. Bien sûr, la poésie procède toujours d'une expression du «je», mais l’écriture de Virginie Beauregard D. dans Les heures se trompent de but, comme un grand pan de la poésie contemporaine, montre que cette prise de parole ne peut plus s'effectuer à huis clos, même s'il se produit un retour du sujet. Il faudra prendre part à cet univers grouillant –que la ville et sa vivacité représentent bien dans ce recueil– et s'y situer.

Le mauvais rêve de la pensée

Côté-Fournier, Laurence
Montréal, Le Quartanier, 2010
74 pages.

Bien que plusieurs poètes contemporains français puissent être rattachés à cette mouvance (Phillipe Beck, Olivier Cadiot), il me paraît plus malaisé de lui trouver des héritiers au Québec, rendant d’autant plus singulière la démarche de Maggie Roussel. Dans Les Occidentales, la tentation de se laisser emporter dans le flot de ces «bonheurs d’expression» aptes à anoblir le poème est écartée aussitôt qu’elle surgit: «Boulevard des chagrins: c’est encore trop joli». Les réflexions sur l’écriture et les difficultés esthétiques et critiques que pose la construction poétique reviennent de façon incessante, sans qu’aucune certitude ne tienne. Ici, au cœur d’une éthique du pessimisme qui ne peut accueillir sans méfiance toute tentation de plaire par la beauté et par des effets de style grandiloquents, «l’écriture se construit à partir de loques». Le travail du poète, qui cherche à penser son écriture en tâchant d’éviter de se laisser prendre au miroir aux alouettes des belles images, ne diffère ici pas grandement de celui des divers locuteurs anonymes qui défilent les uns après les autres dans le recueil et qui doivent aussi se ménager un espace propre à la réflexion malgré l’écran de pensées positives qui les coupe du réel. Pour tous, l’écartèlement entre l’adhésion à un discours dominant parfaitement intériorisé et la volonté d’y échapper est inévitable.

Entretien avec Mathieu Arsenault

Salon double
Arsenault, Mathieu
L’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle

«Ce que j’aime de ce projet, c’est que nous essayons de maintenir délibérément le flottement entre la parodie d’académie et l’institution sérieuse. Si nous essayons de garder le côté mordant des prix, nous effectuons maintenant la sélection avec plus de sérieux qu’au début, car d’une part, nous sentons un réel engouement de la communauté littéraire pour notre entreprise et d’autre part, on y voit également l’occasion de donner une représentation des différentes potentialités de forme et de contenus littéraires propres à notre époque.»

Le corps sur la main

St-Laurent, Julie
Paris, Seuil (Déplacements), 2009
217 pages.

Cambouis est le deuxième carnet de travail publié par Emaz. Cet ouvrage collige un ensemble de notes, d’impressions et d’observations: il constitue à la fois un espace d’épanouissement et de survivance. Demander si la poésie a un avenir dans l’époque contemporaine, c’est au moins lui accorder un présent, remarque Emaz, d’où le besoin pour le poète d’un lieu de sécurité qui, même sans arborer de datation précise, pérenniserait le plus fugace. Dans cette perspective, j’aimerais m’attarder à la façon dont l’écriture de Cambouis témoigne d’un parti pris de l’être-au-monde, c’est-à-dire d’un être dont la subjectivité s’affirme ressentie et incarnée.

Un poète n'existe jamais seul

Caillé, Anne-Renée
Paris, P.O.L., 2009
121 pages.

L'Homobiographie est une forme poétique qui allie le double (le «même» du grec homos) au biographique : il est question des vies de celle que l'on nomme «La Poète», de ses alter ego, d'autres bien-aimés poètes rapportées par bribes mais aussi, de la vie plus intime d'une femme qui s'écrit dans des carnets de différentes couleurs. Dans cette tentative de dédoublement, entre autobiographie et autofiction, il faut surtout y voir l'effort de rendre protéiforme l'entreprise biographique. Comme Giraudon l'explique dans un entretien en 2007, l'homobiographie opère des «déplacements» entre les différentes «enveloppes» que constituent le soi, l'autre et la fiction. Cette forme hybride permet aussi de supporter les vies et les morts qui nous parcourent: Liliane Giraudon expose ce qui pluralise l'identité «Poète». Par filiation ou emprunt, assembler des fragments de mémoire de façon non-linéaire, coller sa vie à celle des autres; par cette abolition des frontières, la poète joue au double.

Fiction de la vérité, vérité de la fiction

Dulong, Annie
Écrire le 11 septembre

De la vérité à la fiction, de la fiction à la réalité, l’écriture semble ainsi établir les frontières pour mieux les brouiller. Peut-être vient-il toujours un moment, lorsqu’on écrit, où l’on s’interroge sur la vérité. Mais il s’agit d’une vérité relative, liée davantage à une vérité de l’expérience qu’à l’authenticité des faits. Le principe même de la fiction, son exigence, semble nous placer à l’extérieur des choses, dans la distance nécessaire à la transformation du matériau. Mais que se passe-t-il lorsque la distance nécessaire nous semble hors d’atteinte?

Mourir de sa belle mort

Dufour, Geneviève
Montréal, Boréal, 2005
331 pages.
Le Journal de Marie Uguay, paru en 2005 chez Boréal, offre, comme d’autres avant lui — qu’on pense à ceux d’Hector de Saint-Denys Garneau et d’Hubert Aquin, pour ne nommer que ceux-là —, une proximité peu commune, non pas avec une représentation fabulée de l’auteur, mais bien avec l’auteure réelle  elle-même. Le journal étant une trace contextualisée et temporelle d’une époque, d’une période, les écrits de Marie Uguay ne ressemblent donc pas à ceux des autres écrivains québécois, aussi diaristes (quoiqu’en disent les rumeurs). Marie Uguay ne partage pas le sacré et la préciosité de Garneau, ni la fougue violente, dense et tumultueuse d’Aquin. Il s’agit plus sûrement, dans le cas de Marie Uguay, d’une quête littéraire existentielle mue par des préoccupations esthétiques et sociales: la recherche d’une écriture affranchie de ses aliénations (comme Québécoise, comme femme, comme écrivaine) et d’une poésie prosaïque, élémentaire, qui s’élabore à partir du quotidien tangible, de ses manifestations matérielles. 

Savoir se piéger

Brousseau, Simon
Montréal, Le Quartanier, 2009
73 pages.

Au fil des poèmes se profile l’idée que l’unité du sujet n’existe pas. Non pas un, mais des autoportraits-robots, en ce sens où l’identité serait une multiplicité qui se dérobe. Le projet de ce recueil de poèmes est d’offrir une esquisse de ces fragments d’être, mais également d’illustrer les jeux de tensions qui s’installent entre chacune de ces parcelles. 
 

L'assemblée politique des pirates des mers

Paquet, Amélie
coll. « Le répertoire des îles », Montrouge, Burozoïque, 2009
39 pages.
L’assemblée fonctionne selon une certaine mouvance calquée sur le modèle de la communauté de pirates elle-même, qui permet une spontanéité inédite ailleurs qu’à bord de leurs navires. La seule stabilité que l’assemblée des pirates connaît est contenue dans la relation des individus vis-à-vis la communauté. Ils portent tous la responsabilité de la vie des uns et des autres. L’assemblée ne défend que sa propre liberté et ce à travers la responsabilité qu’elle confère à ses membres.
 

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