États-Unis d'Amérique

Voyage sur les traces des monstres. Ou le journalisme selon Palahniuk

Auteur(s): 
Paquet, Amélie
Référence bibliographique: 
New York, Anchor Books, 2004
233 pages.

En présentant Manson ainsi, Palahniuk construit une saisissante image de solitude autour de la rockstar. Le monstre, celui que Palahniuk tente de connaître par ses écrits journalistiques, est sans doute cet homme capable de tout faire seul à l’écart de la communauté. À l’évidence, l’Antichrist Superstar est plus près de l’écrivain que du journaliste. Tout porte d’ailleurs à croire, dans le recueil, que Palahniuk peut entrer en relation avec tous ces monstres, parce qu’il est en lui-même un, par son statut d’artiste qui lui permet de vivre dans une période temporaire d’isolement afin de se consacrer à sa création.

Quelques notes sur W. T. Vollmann et l'éthique de l'écriture

Auteur(s): 
Brousseau, Simon
Référence bibliographique: 
New York, Viking Press, 2009
1200 p. pages.


C'est parce que penser le monde actuel est une tâche titanesque que Vollmann en fait un projet littéraire. C'est parce que la fiction, pour le dire bêtement, infiltre l'édifice de notre prétendue réalité qu'il est primordial d'écrire en ayant le sens du devoir devant les faits, mais surtout devant tous ces gens floués par notre médiocre compréhension de la situation dans laquelle ils se trouvent.

De la solidarité des récits: Sullivan et la fascination de l'altérité

Auteur(s): 
Côté-Fournier, Laurence
Référence bibliographique: 
New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011
365 pages.

Cette volonté de s’éloigner des récits conventionnels et des portraits caricaturaux ouvre un espace de réflexion salutaire, refusant les facilités de la dérision. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu tout Bourdieu pour saisir à quel point l’appartenance à une classe sociale transparait dans les préférences culturelles de chacun, bien que le lien de cause à effet soit le plus souvent camouflé derrière les concepts de bon goût, de raffinement intellectuel, de culture populaire ou élitiste.

L'ère du constat?

Gravel, Jean-Philippe
New York, The Penguin Press, 2013
477 pages.

Pynchonien, Bleeding Edge l’est sans conteste: les théories de conspiration y abondent toujours autant (et, la proximité historique des catastrophes du 11 septembre aidant, semblent même nous rattrapper); les échevaux parallèles de l’histoire et du savoir technique y sont toujours aussi inextricablement liés aux plus délirantes spéculations, et, si l’on consent à lui reconnaître un rythme plus digeste  que dans le roman qui l’imposa à l’apogée de ses facultés cannabinoïdo-mentales d’illisibilité (Gravity’s Rainbow, pour ne pas le nommer), on constate que, bien qu’assagi quelque part, le Thomas Pynchon de Bleeding Edge est encore porté, de ses digressions sur les effets néfastes du Web à ses portraits de fêtes sans fin, explosions de vitalité qui ne semblent aller nulle part, par la fougue potache et adolescente d’un des  plus juvéniles et geek auteurs américains encore vivants à 76 ans.

Posthume et postérité: un dialogue irrésistible

Auteur(s): 
Conceatu, Marius
Référence bibliographique: 
Paris, Gallimard (Folio), 2008
1401 pages.
Paris, Gallimard (Folio), 2006
573 pages.

Dans ce jeu, l’expérience de lecture joue un rôle crucial: en effet, l’étude de ces deux cas peut nous indiquer que le contemporain est une question de réception, tenant d’une concordance heureuse entre une œuvre et la sensibilité du lecteur momentané. Sur le plan de l’investissement du lecteur il s’opère, ici, deux mouvements inverses: dans Suite française, le lecteur posthume est forcé de combler les lacunes du texte inachevé avec les connaissances fournies par l’histoire ou d’autres (nombreuses) œuvres de fiction sur les mêmes sujets, notamment l’occupation nazie, l’exode et la vie sous le gouvernement de Vichy et les déportations des Juifs de France. Ainsi le caractère posthume vaudra-t-il au roman l’inscription dans un contemporain permanent, car les lecteurs de plusieurs époques se le revendiqueront en tant que tel. Au mouvement du posthume vers le contemporain perpétuel s’oppose le mouvement inverse dans Les Bienveillantes. Pour bien s’expliquer ce qu’il vient de lire, le lecteur doit recourir au mythe et aller en dehors du texte en essayant de comprendre le refus du récit, annoncé par un narrateur quasi-contemporain, mais difficilement compréhensible dans ses idées et actes, profondément controversé en tant que narrateur, personnage, et même en tant qu’humain. Il faut donc faire le deuil du texte, laisser se décanter les impressions et les pensées, évacuer les réactions émotionnelles inévitables lors d’une lecture investie. Le posthume, alors, relèverait de la mort du texte, qu’il faut nécessairement attendre pour une lecture réussie de cette œuvre.

La théorie dans le rétroviseur

Brousseau, Simon
New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011
406 pages.

Tout cela offre une belle porte d'entrée dans le roman d'Eugenides, puisque les armes privilégiées du roman réaliste, qu'il manie d'ailleurs avec beaucoup d'adresse — cela est particulièrement sensible dans le déploiement progressif de la  psychologie de ses personnages —, permettent de jeter un regard nuancé sur l'héritage de la théorie. Dans le cas de la French Theory enseignée dans les universités américaines lors des années 1980, cela devient d'autant plus stimulant que ce traitement met en lumière un problème que la déconstruction semble avoir parfois ignoré: l'approche textualiste, la variation possiblement infinie des interprétations, cette inflation du sens peut parfois reléguer au second plan l'expérience humaine, comme si la littérature était pure textualité, pure immanence dépourvue d'énonciateur. Le roman d'Eugenides, à cet égard, propose un juste retour du balancier en montrant comment la froideur théorique dans laquelle les personnages baignent va parfois à l'encontre de leurs expériences personnelles.

 

Américains après tout

Ferland, Pierre-Paul
Montréal, Druide, 2012
224 pages.

Toute la prouesse d’Alain Beaulieu réside précisément dans ce refus de céder à la tentation du microcosme et de la métonymie. Ses personnages, aussi stéréotypés puissent-ils sembler, prennent une épaisseur inattendue en vertu de leur psychologie nuancée. L’Amérique de Beaulieu s’efface derrière ses personnages. Si certains peuvent justement voir dans l’indétermination géographique du titre et dans l’obsession de Beaulieu à ne jamais donner de toponymie claire à son histoire un vœu de «continentaliser» son roman, j’y vois plutôt, au contraire, un refus de thématiser à tout prix l’espace américain.

Emporter le paradis d'un seul coup

Auteur(s): 
Brousseau, Simon
Référence bibliographique: 
New York, Penguin Books , Submitted
310 pages.
Toronto, Harper Perennial, 2001
609 pages.

Dans tous les cas, la drogue est un moyen pour les écrivains de réfléchir à notre rapport au monde: déchirés entre le désir et le manque, nos contemporains connaissent eux aussi la compulsion, la tentation des objets qui chantent à l'unisson, comme dans un dessin animé de Disney qui aurait tourné au cauchemar: «Consomme-nous! Consomme-nous! Quand tout sera consumé, tu seras au Paradis.» Il est peut-être banal d'affirmer que tout peut potentiellement être une drogue: l'amour, le sexe, le café, le dessert, mais il l'est sans doute moins de pousser à termes le raisonnement. Le fait de s'investir affectivement dans la consommation laisse entrevoir une forme de vide. De quelle nature est ce vide? C'est la question que la drogue pose. Et comme il existe plusieurs sortes de drogues, il doit exister aussi plusieurs sortes de vide, ou plusieurs façons de s'y abandonner.

Performance toxicomaniaque : comment recoller ensemble des milliers de petits bouts de soi

Auteur(s): 
Monette, Annie
Référence bibliographique: 
New York, Knopf Publishing Group, 2003
381 pages.

La performance, justement, c’est aussi une affaire de mots, d’écriture et de langage. En effet, performer signifie un mode d’expression, une mise en acte de la parole. Dans l’écriture de la drogue, la performance consiste à soumettre le langage à une opération qui permet de dire la drogue. Car l’expérience vécue (parce qu’elle est avant tout affaire de perception, parce qu’elle correspond à une réalité unique, non partageable et non reproductible) dépasse très souvent les capacités langagières de l’auteur. Elle tient de l’indicible. En cela, Frey n’est pas différent de ses prédécesseurs: sa performance textuelle repose sur une série de moyens employés pour faire correspondre l’écrit et l’expérience.

The Heroin Diaries ou ressentir la douleur de Nikki Sixx

Auteur(s): 
Laurin, Hélène
Référence bibliographique: 


Dans cette lecture, je propose une réflexion portant exclusivement sur The Heroin Diaries. Dans ce livre, un journal intime écrit en 1987, mais publié en 2007, le bassiste, fondateur et principal auteur-compositeur de Mötley Crüe, Nikki Sixx, raconte sa dépendance aux drogues (héroïne, cocaïne, crack, alcool, diverses pilules, etc.). L'arc narratif des entrées de journal intime mène à une surdose quasi-fatale. Pendant la nuit du 22 au 23 décembre 1987, Sixx est mort quelques minutes d'une surdose d'héroïne et a été ramené à la vie par deux doses d'adrénaline enfoncées directement dans son cœur. Cet événement lui a ouvert les yeux et il est devenu sobre par la suite. Tout au long de The Heroin Diairies, Nikki Sixx (aidé par son co-auteur Ian Gittins) met de l'avant une écriture déployant son corps et les sensations – physiques et mentales – qu'il vit. C'est pourquoi je propose de rapprocher The Heroin Diaries avec la lecture empathique [...]

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