France

L'auréole profanée du désir

Hervé, Martin
Paris, José Corti, 1997
282 pages.

 

L’écriture combetienne se déploie à partir d’un matériau légendaire et biblique dont elle tire des réinterprétations traversées de ses idées fixes: par elle seule l’écrivain peut poursuivre le dialogue silencieux et vital qu’il a instauré avec l’énigme de son origine fracturée. Loin des querelles de chapelles et des débats sur ce que doit être la littérature contemporaine, il poursuit inlassablement sa marche sur son chemin intime.

Écran de chair, canal fétiche

Hervé, Martin
Albi, Passage du Nord-Ouest, 2012
294 pages.

Une entreprise de déconstruction symbolique peut faire office d’engagement. À défaut de prendre les armes, l’écrivain torpille la farce idéologique par l’usage d’une langue explosive, prête à dynamiter les simulacres du système. Admirablement traduit en français par François Monti en 2012, un an après Providence, aux éditions Passage du Nord-Ouest, La Fête de l’âne de Juan Francisco Ferré se présente comme une tentative de démantèlement de l’idéologie et de la geste terroriste, à travers l’exemple de l’Organisation, groupuscule postiche de l’ETA basque indépendantiste.

Emmanuel Carrère: écrivain du discours

Auteur(s): 
Snauwaert, Maïté
Référence bibliographique: 
Paris, P.O.L. (rééd. Folio), 2000
221 pages.
Paris, P.O.L., 2009
309 pages.


L’écrivain du discours, chez Carrère, se fait l’émissaire de nos interrogations, s’approchant au plus près de l’énigme sans prétendre en savoir quelque chose, usant de sa présence sur les lieux et de son aura culturelle pour accéder à des dimensions qui nous demeureraient inconnues. Il met au jour l’histoire dans ses constituants, la désépaissit sans la réduire en décrivant la suite des faits avec précision et clarté, dans la maîtrise ordonnée d’une langue de laquelle, pour nous permettre d’en être les interlocuteurs, il ne s’efface pas.

Raconter, rétablir: esthétique de la rectification chez Jean-Philippe Toussaint et Mathieu Lindon

Auteur(s): 
Voyer, Marie-Hélène
Référence bibliographique: 
Paris, Éditions de Minuit, 2006
18 pages.
Paris, P.O.L., 2002
62 pages.

Les écrivains adoptent une posture rectificative et opèrent un renversement de signification face à cet événement médiatisé; Toussaint transforme un sacrilège sportif en un coup de maître formaliste, en un pur moment littéraire, alors que Lindon met en évidence la lâcheté d’une compagnie qui affirme avoir agi correctement au nom de «mesures de sécurité». Dans les deux cas, les auteurs décontextualisent l’Événement pour le rapatrier dans le champ du romanesque et de la création (sur un ton empathique chez Toussaint et ironique chez Lindon)

La France: territoires morcelés

Levesque, Simon
Paris, Flammarion, 2012
453 pages.

La littérature n’est pas au service des autres sciences humaines et sociales, mais elle peut servir, dira Westphal. Les écrivains en sont les premiers conscients et Olivier Adam ne fait pas exception à la règle. C’est à ce titre qu’il s’attarde à dépeindre les tensions sociales qui ont cours dans la France contemporaine, toujours en crise identitaire. Car à la notion de classes se mélange celle d’identité. Dans une France raciste où tout ce qui va mal arrive toujours à cause des «étrangers», il y a toute une frange du discours qui peut être relayé via le roman de manière à le rendre à son contexte, pour mieux le combattre.

Le Passé défini, un journal posthume adressé aux lecteurs de l’an 2000

Auteur(s): 
Rana El Gharbie
Référence bibliographique: 
Paris, Gallimard, 2012
4174 pages.

Dans Le Passé défini, à l’exemple des autres journaux de Cocteau, un jeune et futur lecteur est interpellé fréquemment. Le poète utilise souvent le temps du futur simple lorsqu’il décrit la réception de son journal et recourt à diverses expressions pour insister sur l’appartenance de son lecteur rêvé aux générations à venir. Ainsi, les récepteurs programmés sont de «jeune[s] homme[s]», des «amis futurs», des «lecteur[s] encore né[s] d’un ventre». De plus, à l’exemple d’Opium, la fonction même du Passé défini est en étroite correspondance avec l’image de ce futur lecteur. Le but du dernier journal du diariste est «de bavarder avec les camarades futurs que [son] œuvre [lui] apportera». Par ailleurs, le destinataire idéal ne doit pas seulement être jeune, il doit surtout être posthume. L’image de ce lecteur est décrite dans plusieurs journaux de Cocteau.

La mort au kaléidoscope

Auteur(s): 
Godin, Louis-Daniel
Référence bibliographique: 
Paris, Gallimard, 1992
140 pages.

Affirmer que l'écriture posthume chez Guibert s'inscrit dans un processus de deuil entraîne cette question importante: quelle mort anticipe l'auteur? Naturellement, et plusieurs études se sont penchées sur cette question, nous serions tentés d'avancer qu'il s'agit exclusivement de la mort engendrée par le sida. Les textes de Guibert publiés volontairement de manière posthume (Cytomégalovirus, Le paradis, Le mausolée des amants) sont effectivement écrits alors que l'auteur est très malade. Cela dit, une incursion dans ses textes «pré-maladie» nous indique que la mort s'inscrit dans son œuvre bien avant qu'il ne contracte le virus (1988). L'anticipation de la mort, chez Guibert, n'a donc pas seulement à voir avec la mort annoncée, elle se noue carrément au désir et à la démarche d'écriture, avant même que le sida ne s'impose dans son imaginaire et dans l'imaginaire collectif. Ainsi, l'écriture posthume s'instaure comme le miroir grossissant d'affects déjà disséminés dans l'entièreté de l'œuvre de Guibert: depuis ses débuts, l'auteur côtoie la mort dans ses formes symboliques.

Un roman inédit et inachevé de 1952 peut-il être avant-gardiste?

Auteur(s): 
Deronne, Emmanuel
Référence bibliographique: 
Amazon, Kindle Direct Publishing (édition d'Emmanuel Deronne), 2013
Sans numéros de pages.

Depuis un an, j’ai entrepris un travail assez complexe, nouveau pour moi et éloigné de ma spécialisation d’enseignant-chercheur en linguistique. Il s’agit pour moi de publier ou de republier une partie des œuvres de mon père, le romancier Voltaire Deronne, alias Robert Reus (1909-1988). Les romans autrefois publiés, La Foire (1946; réédité en 2012) et L’Épidème (1947), ne trouveront à cette occasion «qu’» une seconde vie: ils ont déjà fait partie intégrante de la production littéraire de leur époque (La Foire a figuré au dernier tour du prix Cazes). Mais les œuvres inédites (une vingtaine d’œuvres de 1945 à 1960 puis de 1973 à 1988 environ) posent ce problème d’une éventuelle naissance «postmaturée» et donc du statut étrange des œuvres du passé apparaissant dans l’horizon littéraire d’une époque qui n’est plus la leur et à laquelle elles n’étaient pas destinées.

Posthume et postérité: un dialogue irrésistible

Auteur(s): 
Conceatu, Marius
Référence bibliographique: 
Paris, Gallimard (Folio), 2008
1401 pages.
Paris, Gallimard (Folio), 2006
573 pages.

Dans ce jeu, l’expérience de lecture joue un rôle crucial: en effet, l’étude de ces deux cas peut nous indiquer que le contemporain est une question de réception, tenant d’une concordance heureuse entre une œuvre et la sensibilité du lecteur momentané. Sur le plan de l’investissement du lecteur il s’opère, ici, deux mouvements inverses: dans Suite française, le lecteur posthume est forcé de combler les lacunes du texte inachevé avec les connaissances fournies par l’histoire ou d’autres (nombreuses) œuvres de fiction sur les mêmes sujets, notamment l’occupation nazie, l’exode et la vie sous le gouvernement de Vichy et les déportations des Juifs de France. Ainsi le caractère posthume vaudra-t-il au roman l’inscription dans un contemporain permanent, car les lecteurs de plusieurs époques se le revendiqueront en tant que tel. Au mouvement du posthume vers le contemporain perpétuel s’oppose le mouvement inverse dans Les Bienveillantes. Pour bien s’expliquer ce qu’il vient de lire, le lecteur doit recourir au mythe et aller en dehors du texte en essayant de comprendre le refus du récit, annoncé par un narrateur quasi-contemporain, mais difficilement compréhensible dans ses idées et actes, profondément controversé en tant que narrateur, personnage, et même en tant qu’humain. Il faut donc faire le deuil du texte, laisser se décanter les impressions et les pensées, évacuer les réactions émotionnelles inévitables lors d’une lecture investie. Le posthume, alors, relèverait de la mort du texte, qu’il faut nécessairement attendre pour une lecture réussie de cette œuvre.

La guerre, menu détail

Levesque, Simon
Paris, Éditions de Minuit, 2012
123 pages.

 

À force de rechercher la simplicité, le danger qui guette est de frôler la coquetterie. Défi ou déni? L’un ou l’autre, ou un peu des deux, aura poussé l’écrivain à raconter cet épisode des plus sanguinaires de l’histoire moderne sur un mode apparemment désengagé, en érigeant la factualité anecdotique au rang de matériau de prédilection. La Grande Guerre sert bien de cadre à son intrigue, pour peu qu’elle le soit, intrigante, mais tout porte à croire que le recours à cette époque sert davantage de prétexte pour décrire des objets du quotidien d’alors – meubles, costumes, le contenu du sac d’un soldat français – que pour revisiter le conflit d’un point de vue politique.

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