Les nouveaux salons

Étude de la sociabilité des blogues «littéraires»


Une littérature s’élabore en parallèle, voire en marge, de l’institution traditionnelle. La tablette numérique devient un des nouveaux outils de lecture; les archives passent au numérique; le domaine de l’édition suit également cette tangente, sans compter toutes ces oeuvres qui s’ébauchent, se peaufinent et s’écrivent dans cet espace virtuel que l’on nomme la blogosphère. Cette littérature peut-elle être étudiée à l’aide des mêmes outils d’analyse convoqués généralement en études littéraires? Peut-on qualifier ses actants d’ «écrivains» si ceux-ci ne jouissent d’aucun statut légitime? Partant de l’idée que le livre, dans son format papier, demeure la représentation la plus tangible de cette légitimation, les blogueurs semblent confinés, d’emblée, à un champ périphérique de la littérature puisque leurs écrits échappent aux procédés de reconnaissance traditionnels. En fait, notre hypothèse de travail est la suivante: il semble que la fonction de reconnaissance conventionnellement associée à l’institution littéraire (entendre ici: le processus d’édition par lequel transite un texte publié, la réception critique et académique de l’œuvre, les prix littéraires, etc.) soit prise en charge, dans le cas des blogues[1] littéraires, par des instances informelles à la fois disséminées et organisées que nous nommons le réseau de sociabilité, manifestation empirique la plus aisément repérable.

Bien qu’elle ne transite par aucun processus de sélection et de publication, l’écriture des blogues littéraires parvient tout de même à acquérir une certaine forme de reconnaissance. Celle-ci, de nature entre autres symbolique, se sédimente par l’établissement d’un réseau distinct et élargi; la marque la plus évidente de ce réseautage est la liste de liens menant vers d’autres blogues dont se dotent la plupart des écrivains —le blogroll. À la lumière du concept de sociabilité littéraire défendu par Michel Lacroix et Guillaume Pinson (2006), notamment, nous verrons au cours de ce texte comment se construisent les trajectoires des blogueurs en quête de légitimation. La blogosphère représente un espace de consécration semblable aux salons littéraires français de l’époque des Lumières; sous le mode de la représentation de soi (voire de la mise en scène), les salons comme le monde des blogues littéraires agissent à titre d’ «institution de sociabilité» (Lilti, 2005: 85). Plutôt que d’établir une reconnaissance critique sur le plan littéraire, il semble que, dans une sphère comme dans l’autre, on se situe dans un régime de complaisance et de politesse. Au centre d’un réseau et forcés, par le fait même, de se plier à l’«esprit de société» (Lilti, 2005: 333), les blogueurs s’inscrivent dans une forme de sociabilité privilégiant le consensus et le divertissement. Et en cela ils n’appellent pas à une évaluation esthétique de leurs écrits, mais ils invitent généralement au dialogue et à l’adhésion par les pairs. C’est ce phénomène que nous analyserons dans ce texte.

Le blogue «littéraire» existe-t-il vraiment?
Il existe bel et bien des procédés de reconnaissance dans la blogosphère, quoique ceux-ci s’élaborent de manière officieuse, sans flûtes ni champagne. Toutefois, avant de circonscrire les processus de légitimation, précisons d’abord ce en quoi consiste le blogue littéraire, de même que le blogue dans son acception la plus élémentaire. Jill Walker, dans son ouvrage Blogging, explique que le terme «blogue» est une contraction des mots «Web» et «log». Ce dernier terme est emprunté au domaine de la navigation, rappelant ainsi le fait de naviguer sur la Toile, image communément employée dans le discours courant. «Log», plus précisément, désigne le livre de registre dans lequel les marins inscrivent les événements de la journée (Walker, 2008: 18). Le terme «blogue» réfère donc au caractère quotidien de l’écriture, à la notation des faits et anecdotes consignés jour après jour, sur Internet. Le blogue est généralement rédigé par une seule personne qui s’exprime de manière subjective sur des sujets divers. «Souvent annoncé comme un genre nouveau, mais difficilement unifiable sous son évidente diversité» (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 10), le blogue pose nécessairement la question du genre:

Qu’il y ait un phénomène social et médiatique des blogs ne fait aucun doute; mais si l’on se demande ce que recouvre ce phénomène, on est gêné parce qu’à cette pratique, il est difficile d’attribuer des caractéristiques génériques. On remarque, d’une part, une tendance à définir le blog comme un «journal personnel en ligne», et d’autre part, on peut être frappé par le nombre important de blogs qui ne relèvent pas de cette qualification générique. On a affaire à des actions de publication et de médiatisation, c’est une certitude; mais la question me semble se poser de savoir si ces pratiques sont appréhendables comme une pratique générique, c’est-à-dire de savoir si elles sont subsumables sous une seule catégorie textuelle (Candel, 2010: 23).

Étienne Candel suggère de considérer le blogue non pas comme un genre, donc, mais plutôt comme une forme éditoriale (2010: 26). Marie-Ève Thérenty suggère «quatre contraintes nécessaires» pour définir le blogue: «diffusion sur le Web, écriture à la première personne, parcours rétrochronologique, écriture séquencée ou fragmentée» (2010: 54-55). Le blogue diffère donc du site personnel en raison de la potentialité communicative inscrite dans la démarche: c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue.

Le blogue littéraire, quant à lui, semble plus difficile à repérer à cause de son statut littéraire, justement, puisqu’on peut croire que le qualificatif renvoie nécessairement à un jugement de valeur. Et cela nous mène à l’épineuse question: mais qu’est-ce que la littérarité? Qui plus est, le réflexe courant est d’interroger le talent et la solidité des auteurs qui se manifestent dans la blogosphère. Bien qu’en littérature, généralement, on évite de parler de l’intention de l’auteur, dans le cas du blogue, il est d’ordinaire aisé de repérer le projet qui sous-tend l’écriture. Régulièrement, son auteur affiche sur l’interface principale ou dans une interface secondaire l’objectif de son entreprise. Mais s’en remettre exclusivement aux dires de l’auteur est une méthode incertaine, car ne devient pas écrivain qui le veut et qui le formule explicitement. Nous ne parlerons donc pas ici des blogues rédigés par des écrivains reconnus, qu’on pense à ceux de François Bon, Pierre Assouline, Alain Mabanckou ou, chez nous, à ceux de Catherine Mavrikakis et de Christian Mistral, par exemple. Ceux-ci occupent certainement une place de choix sur la blogosphère; leur reconnaissance ne passe pas par la sociabilité virtuelle puisqu’elle est déjà établie par l’institution littéraire officielle. Plus sûrement, on peut faire entrer dans la catégorie littéraire les blogues qui ont pour sujet la littérature et son actualité. Il s’agit d’ailleurs de la définition proposée par Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (en ligne). Cette définition a toutefois le désavantage de réunir sous une seule étiquette les blogues qui se veulent littéraires et les blogues qui s’intéressent à la littérature. C’est-à-dire que ne répondent pas aux mêmes usages et aux mêmes objectifs, à notre avis, les blogues critiques, qui proposent à leurs lecteurs des commentaires maisons et qui font désormais concurrence aux critiques professionnels écrivant traditionnellement dans les périodiques, et les blogues plus «personnels», dirions-nous, que l’on pourrait qualifier de journaux «extimes» (Allard, 2005). En effet, en y regardant de plus près, plusieurs blogues s’apparentent à des carnets d’écriture sans nécessairement traiter de manière directe de la littérature; ces blogues sont davantage de l’ordre du cahier de notes, où s’élaborent des récits tantôt fictionnels, tantôt autobiographiques, où s’échafaudent des réflexions personnelles, sociales, littéraires, etc. D’ailleurs, comme il est fréquent que chaque entrée soit datée, on pourrait aussi les rapprocher de l’écriture diaristique. Mais qu’est-ce qui fait de ces «journaux personnels en ligne» un objet nommément littéraire? Ne pourrait-on pas, à la limite, considérer une suite de statuts publiés sur Facebook comme étant un objet littéraire? Pourquoi cet intérêt de la critique —dont nous sommes, visiblement!— envers les blogues et non pas envers les actes de langage de tous les réseaux sociaux? Le blogue, en réalité, est lui aussi un réseau social —et c’est ce que nous montrerons dans les parties subséquentes de ce texte[2].

En tant qu’acte social, le blogue résiste à la littérarité; c’est ce qu’affirme Alexandre Gefen:

Bloguer serait d’abord un acte social, directement ou indirectement performatif qui, de fait, ne s’inscrit que difficilement dans les critères définitoires de la «littérature littéraire»: faiblement contractualisée et possédant sa sphère référentielle propre, l’écriture par blog résiste à l’opposition fait/fiction (critère de fictionnalité) qui pourrait la faire admettre dans le corpus littéraire traditionnel; formalisée par réaction à des contraintes technologiques exogènes, elle peine à opérer cette ostentation du signifiant et cette dénudation des procédés qui la qualifieraient de littéraire par diction. Ainsi, rares sont les études ayant fait du blog un genre littéraire en soi (c’est-à-dire, et quelle que soit la définition du genre que l’on retienne, une forme matrice de sens), y compris dans le monde anglo-saxon, pourtant ouvert à une théorie large des médias et attentif au pouvoir configurant des supports textuels (2010: 156).
 

La critique actuelle semble accepter d’emblée l’appellation «blogue littéraire» comme si elle allait de soi. Cela nous agace, car on semble accepter d’emblée comme littéraire des oeuvres aussi diverses que le blogue d’un étudiant en littérature qui aspire au métier d’écrivain ou le journal personnel en ligne d’une nouvelle maman qui chronique son quotidien, par exemple —cela dit sans aucun jugement de valeur concernant l’intérêt de ces démarches, qui sont toutes les deux courantes. Évelyne Broudoux remarque une «dualité autoritative» chez certains blogueurs, ce qui pourrait nous mettre sur la piste des critères faisant d’un blogue un blogue littéraire:

La dualité autoritative est rendue visible sur un certain nombres de blogs issus d’horizons variés (personnels, politiques, littéraires, scientifiques, etc.). Une oscillation se laisse effectivement observer entre le «placement de soi» dans un espace social et un domaine d’activités et la «production d’un contenu original» attribuable à un auteur. En effet, ces blogs se laissent reconnaître à leurs prises de position, aux interprétations diverses qui rythment les contributions. Et il est quelquefois difficile de distinguer ce qui au fond motive leur auteur: être reconnu dans un champ pour ses qualités personnelles ou bien produire et créer des objets dont la valeur sera appréciée par un public constitué de néophytes ou d’experts. Doit-on prendre ces manifestations pour des affirmations d’auteurs en manque de légitimité ou s’agit-il «simplement» d’une construction auctoriale classique, à partir de laquelle l’auteur est en mesure de laisser l’exprimer l’écrivain? (2010: 33)
 

La littérarité du blogue passerait donc inévitablement par l’intention de son auteur; cette conclusion nous semble pourtant contre-intuitive: la méthode critique de Sainte-Beuve a déjà été décriée et un retour à l’intentionnisme et à la psychologie de l’auteur ne nous semble pas productif —ni souhaitable. Thérenty décrit dans un article ce qu’elle appelle «l’effet-blog en littérature», écartant ainsi le critère de l’intention de l’auteur. Cet effet serait peut-être plus approprié qu’un discours sur les motivations d’écriture pour parler des blogues littéraires. Selon elle, «[l]e premier effet du blog [littéraire] est d’entraîner à une écriture de la subjectivité. Le blog contraint à l’écriture à la première personne et il permet à l’écrivain, même habitué à une écriture impersonnelle, une exploration des limites du moi, sans d’ailleurs que cette quête ne prenne forcément la forme d’une écriture autobiographique» (2010: 58). La seule contrainte de cette écriture du moi serait celle du fragment. L’effet-blogue se fait sentir dans «[l’]indécision, [l’]hésitation entre l’écriture autobiographique et le décollage fictionnel […] [et] invite à écrire sur ce qui est répétitif (l’habitude), sur ce qui est anodin (la banalité, le prosaïque) et sur le détail (l’infime et l’intime)» (2010: 59). Pour d’autres, c’est davantage l’autoréférentialité qui détermine le blogue littéraire. Broudoux suggère d’ailleurs que l’autopublication «facilite et amplifie l’autoréférence»:

En effet, l’éditeur qui est le garant de la qualité des textes est aussi le garant des genres publiés. En dehors du genre autofictionnel, les incartades de la personne écrivante dans le texte d’auteur publié sont rarement admises. Il y a donc [avec les blogues] éclatement des genres traditionnels.
Ce sont surtout les jeunes intellectuel-le-s qui vont se servir du blog comme d’un espace servant à la construction et à la gestion fine de leur identité: étudiants, jeunes journalistes, artistes ou écrivains, sont susceptibles de jouer avec leur identité, par de multiples détournements passant quelquefois par l’anonymat (2010: 39).

Le blogue littéraire est donc un amalgame de plusieurs types d’écriture à la fois; il privilégie rarement une direction seule et unique, et c’est ce qui le rend si difficile d’approche. L’entreprise est associée, pour plusieurs, à une quête narcissique. Certains y voient une volonté excessive de communiquer, de se manifester. Retenons à ce sujet le commentaire de Cory Ondrejka, recueilli par Jill Walker dans son ouvrage Blogging. Ce technicien en chef chez Second Life (un site où l’on peut créer un avatar et incarner un personnage dans un monde virtuel) rapproche l’entreprise du blogue à une prise de parole comparable au fait de se rendre sur la plus haute montagne et de crier dans un porte-voix (Walker, 2008: 66). Mais prise à rebours, cette idée ne semble pas s’appliquer parfaitement. On peut associer cette volonté d’expression à un effet escompté, à un désir de communiquer, davantage qu’à un résultat concret puisqu’en réalité, la voix du blogueur, bien qu’elle semble se projeter de manière éhontée, se confond dans la cacophonie ambiante. La blogosphère est vaste. Et pour filer la métaphore encore un peu, nous dirons que la blogosphère offre un paysage infini et bruyant, composé de plusieurs chaînes de montagnes et d’une pluralité de voix s’élançant toutes dans un même lieu. La blogosphère est une suite sans fin de confessions; pour reprendre en d’autres mots l’idée de Geert Lovink dans son article «Blogging, the Nihilist Impulse» (2007: 4), la blogosphère est une parole jamais tue.

Le caractère social du blogue
Cette image proposée par Ondrejka mène à mettre en évidence le caractère social du blogue, qui doit être envisagé comme étant partie intégrante d’un tout. Cependant, il est vrai que celui qui écrit ne s’adresse pas forcément à son lecteur. Celui-ci est invisible, souvent inconnu, et ne figure pas toujours parmi le réseau des connaissances immédiates de l’auteur du blogue. Il est vrai également que les discussions échangées entre le blogueur et son lecteur ne peuvent se dérouler de façon synchronique comme c’est le cas lors d’une conversation réelle entre deux interlocuteurs. Il existe en effet une sorte de zone tampon temporelle entre le moment de l’écriture et la réaction du lecteur qui sépare inévitablement les échanges. Or, malgré cette distance entre les différents agents de la blogosphère, des interactions se développent entre les blogues, créant ainsi une communauté. Plus précisément, c’est tout un réseau de sociabilité qui se construit, support symbolique fort utile dans l’établissement de la légitimation de la pratique du blogue littéraire. Comme l’affirme Michel Lacroix dans son article «Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», «[t]oute solitaire que puisse être l’écriture, le monde littéraire, lui, est éminemment social, pétri d’interrelations entre les multiples acteurs qui l’habitent et lui donnent vie» (2003: 475).

Malgré cette sociabilité, le blogue littéraire déboucherait «sur une culture du “happy few”, en suggérant la création de communautés restreinte d’auteurs et de lecteurs»:

Les paroles de connaisseurs, le lexique renouvelé par des néologismes ou émaillé par des gimmicks fonctionnent comme des signes de reconnaissance. Les «niches» se multiplient sur le net, tandis que le libre jeu sur les identités pseudonymiques, les indices de connivence construisent un espace relationnel à géométrie variable (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 8).

L’utilisation de pseudonymes est d’ailleurs symptomatique des limitations de cette sociabilité. Olivier Trédan suggère que les blogueurs tentent de reconstruire un «micro-monde» en publiant en ligne et cherchent à la fois à acquérir une certaine légitimité et à choisir les frontières de leur identité numérique:

Une récurrence apparaît dans le parcours de blogueurs: le recours à un pseudonyme. […] [D]e prime abord, il s’agit d’un truisme, il permet de pointer le souci accordé à la préservation d’une relative autonomie à l’égard des autres cadres dans lesquels les individus sont amenés à intervenir (famille, travail, etc.). La raison de l’abandon de son espace de publication peut être attribuée à la découverte que des proches non ratifiés sont lecteurs assidus en dépit de ses efforts pour que l’espace de publication reste cantonné au seul cadre des interactions entre pairs. La gestion de cette tension, c’est-à-dire la capacité à n’être lu que par un public déterminé, apparaît comme un élément explicatif du maintien d’une activité de publication sur un temps relativement long (2010: 90).
 

Le blogue est donc, véritablement, un acte social, même si sa sociabilité est limitée par les modalités propres à la blogosphère. D’où l’intérêt, selon nous, d’aborder l’écriture sur blogue par le biais de son caractère grégaire, collectif, interindividuel.

Une pratique en quête de légitimité et de reconnaissance
Les rapports entre blogueurs permettent d’atteindre une forme de  reconnaissance. L’activité du lecteur participe au processus de création et d’évaluation du blogue. En effet, un des lieux de prédilection où le lecteur peut s’exprimer, lecteur qui est fréquemment un blogueur par la même occasion, c’est dans le commentaire. Ce bref message laissé à l’intention de l’auteur et de ses lecteurs agit à titre d’appréciation, mais également de carte de visite. Rares sont les blogues qui refusent de consentir à laisser cet espace ouvert aux lecteurs puisque c’est l’endroit par excellence pour se manifester, se montrer, se faire connaître de ses pairs. La procédure est simple: l’auteur du commentaire inscrit son nom et un message qu’il adresse au blogueur. L’identification n’a pas à être complète. Le pseudonyme, quoique métonymique et dénué d’ancrages dans la réalité, suffit à la tâche d’identifiant puisqu’il est rattaché à un autre blogue. L’identifiant a fonction de lien hypertextuel. Il a certes une fonction onomastique mais, plus encore, il représente une porte d’entrée qui mène vers un autre univers d’écriture. Cet espace personnel, le blogue, est souvent recréé à partir d’une présélection d’informations. On ne se dévoile pas entièrement, on remanie, on fictionnalise. En cliquant sur l’identifiant, on atteint l’espace d’écriture d’un autre blogueur et des liens de connivence peuvent ainsi s’établir. Des ponts sont créés. On découvre d’autres blogues et ces blogues peuvent se retrouver ensuite à figurer dans la liste des auteurs que l’on suit, dans le blogroll. Il existerait donc une manière d’institutionnalisation sur la blogosphère qui passe par le commentaire, comme le remarque Broudoux:

Ainsi aux côtés de l’auteur porté par l’éditeur, reconnu par les institutions culturelles, un nouveau profil commence à s’imposer: celui de l’auteur incarné dont la notoriété se mesure à l’amplitude de la conversation provoquée par ses billets, mesurable par les re-blogs, les citations, les «on aime», les «trackbacks», jusqu’à ce qu’il soit répertorié par les médias traditionnels (journaux, radios, télévision) et intégré dans la chaîne de l’autorité. Cet auteur disséminateur bâtit une œuvre-flux plutôt qu’un patrimoine, à partir d’objets remaniés, remixés, recomposés (2010: 42).

Il existe d’ailleurs certains sites consacrés à cette mission d’institutionnalisation qui répertorient les blogues les plus populaires, qui organisent des galas récompensant les blogueurs (Gala Blogu'Or, Golden Blog Award, Blogger's Choice Award, etc.), des sites qui fournissent des listes de liens vers d’autres blogues, etc. Des «célébrités» de la Toile prennent la parole et agissent comme parrains de blogueurs émergeants en offrant sur leurs sites personnels des liens vers ces blogues qui seront, inévitablement, assaillis de visiteurs dès la publication de leur nom. Des outils comme Google Analytics permettent aux blogueurs de prendre le pouls de leur lectorat, de savoir quels mots-clés ont été entrés dans les moteurs de recherche pour accéder à leur site, quels billets ont été lus le plus souvent, d’où viennent les visiteurs, etc. De véritables niches sont en train de se créer dans lesquelles sont désormais définies de l’intérieur certaines pratiques de l’écriture sur blogue, dont celle du blogue littéraire.

Même s’il est un peu vilain de le formuler ainsi, on peut penser que la fonction du commentaire n’est pas innocente. Ce dernier ne sert pas exclusivement à témoigner de son appréciation; il sert également des intérêts plus personnels. En effet, le commentaire est une trace, une manière de manifester sa présence sur la blogosphère. En fait, à bien y regarder, on se rend compte assez rapidement que les commentaires sont presque tous de l’ordre de l’échange sympathique. Rarement lit-on un message constructif à propos des billets publiés sur les blogues. Dans l’ensemble et de façon grossière, on pourrait dire que les commentaires se résument à prononcer des banalités sur un ton appréciatif. La légèreté de ces messages laisse croire que ce n’est pas tant l’essence du message qui importe, mais davantage le fait de laisser une trace, de marquer son territoire. À l’image des colonisateurs qui plantaient des drapeaux partout où ils avaient voyagé, le commentaire sert de balise visible signalant le passage d’un internaute dans l’espace virtuel d’un de ses pairs. Les échanges sont d’ailleurs généralement polis, comme s’ils étaient régis par des lois non écrites de bienséance. Trédan affirme même que «les commentaires sont le plus souvent compatissants, fournissant conseils et soutien à l’auteur lors de moments difficiles» (2010: 88). Il est vrai que la blogosphère est composée principalement d’écrivains parallèles non reconnus dans le «vrai» monde, et que ces derniers ne jouissent d’aucun statut véritable, d’aucune position privilégiée dans le champ. Tous les blogueurs sont sur le même pied d’égalité puisqu’aucun ne possède de véritable autorité qui le favoriserait par rapport à ses pairs. La faible teneur critique des commentaires et leur relative complaisance nous mènent à considérer les relations virtuelles entre blogueurs comme des relations mondaines.

Le salon revisité
Dans le cadre d’un article examinant la pratique des blogues girly, pendant démocratisé du magazine féminin type Vogue, Elle et Cosmo, Barbara Sémel compare la nouvelle sociabilité issue de cette pratique à un nouveau «salon de thé»:

[L]e blog permet de créer une véritable interaction entre la blogueuse et ses lectrices. Une sociabilité s’installe: chaque blogueuse est aussi lectrice et les discussions ont parfois lieu simultanément sur plusieurs blogs avec des systèmes de coréférence et d’autoréférence. En lisant ces blogs au fil des jours, on peut observer comment, de billets en commentaires, le blog féminin se constitue en nouvel espace de sociabilité, en nouveau salon de thé. Les thèmes abordés se propagent rapidement dans le réseau, grâce notamment à un système de liens hypertextes que l’on trouve de manière ponctuelle dans le corps des billets et de manière plus pérenne dans les blogrolls, ces listes de blogs recommandés qui contribuent à la célébrité de certains blogs et peuvent propulser un petit nouveau très rapidement. Une «communication virale» s’opère qui repose sur ses propres codes langagiers (néologismes, périphrases, jeux de mots, surnoms, connivences dont la compréhension suppose une lecture suivie d’un certain nombre de blogs «recommandés»). Une culture du happy few, qui a l’avantage de ne pas exclure les lectrices néophytes, émerge à travers des billets qui comportent plusieurs niveaux de lecture (2010: 100).
 

Bien que Sémel traite dans son texte du blogue féminin dont les thèmes de prédilection seraient le maquillage, la mode, les régimes minceur, les potins de stars, etc. —le portrait est rapidement dressé—, il nous semble que ces considérations sur la sociabilité du blogue peuvent s’appliquer sans grand déplacement au blogue «littéraire»; plutôt que de reproduire les conduites attendues dans un salon de thé, le blogue littéraire s’apparente beaucoup au salon littéraire du siècle des Lumières. Le salon littéraire était lui aussi une institution de sociabilité regroupant des gens afin de converser et de se distraire. Comme le blogueur, l’auteur de salon évolue dans un milieu régi par le consensus. Lilti explique le fonctionnement de ces rencontres:

L’auteur qui lit une pièce ou un poème dans un salon n’entend pas le soumettre à la critique, mais il en attend des compliments et des applaudissements, ainsi qu’un soutien dans les conversations mondaines. Ce serait une faute de l’en priver, car il s’agit d’abord pour les auditeurs de se conformer aux normes mondaines, qui ne sont pas celles de la critique intellectuelle, mais celles de la politesse et de la complaisance (2005: 330).

Le blogue fonctionne à peu de choses près comme le salon littéraire de l’époque: même si personne ne se rencontre de manière réelle —sinon lors des rencontres en chair et en os organisées par des associations régionales comme le célèbre Yulblog—, la blogosphère est un espace où se rassemblent des écrivains patentés qui souhaitent faire entendre leur voix, qui souhaitent s’exprimer et recevoir une rétroaction somme toute bienveillante. Pourquoi les blogueurs se critiqueraient-ils entre eux ouvertement s’ils sont tous au même niveau, si aucun d’entre eux n’a d’autorité sur les autres? Lilti va plus loin encore en précisant que le but du divertissement mondain n’est pas de susciter la controverse mais, au contraire, de favoriser l’adhésion, d’attirer les applaudissements:

La réaction des auditeurs, dans une lecture de société, est donc dictée avant tout par les règles minimales de politesse qui imposent de féliciter l’auteur et d’applaudir. Les compliments sont la contrepartie attendue du divertissement que l’auteur a offert, car les auditeurs ne sont pas en position de juges ou de critiques, mais participent à un divertissement de société, au sein duquel il convient avant tout de se plaire mutuellement et d’éviter toute tension (2005: 330).

Ce ne sont pas des applaudissements que recueille le blogueur, mais plutôt des commentaires, qui sont pour la plupart assez convenus et agréables. Dans la blogosphère règne un climat généralement harmonieux. Le consensus est ordinairement à l’honneur. La véhémence n’est pas au nombre des normes implicites qui régissent les interactions entre blogueurs. Ce que mentionne Lilti à propos de la sociabilité mondaine s’adapte bien à l’univers des blogues:

Les contraintes qui pèsent […] sur le jugement sont moins celles d’une norme sociale du goût, que les individus auraient incorporées et qui dicterait inconsciemment leur réaction, que celles qu’impose une forme de sociabilité: les règles de politesse mondaine, et les effets de l’imitation. […] Ce sont des jugements de société, qui ne reposent pas sur un usage public et critique de la raison mais sur l’exercice d’une compétence sociale et culturelle, celle de la politesse mondaine (2005: 334).

Comme à la cour et dans les sociétés mondaines en général, ce n’est pas tant le commentaire en lui-même qui prime, mais le commentaire en tant que marque de sociabilité, en tant que marque d’adhésion, en tant qu’appui social et symbolique à l’entreprise littéraire de ses pairs. Le commentaire est une mise en scène de cette adhésion. Il est une matérialisation de la reconnaissance. Lacroix précise que les outils convoqués pour étudier les réseaux de sociabilité, comme le commentaire, sont des objets d’analyse à traiter avec parcimonie parce qu’ils sont, eux-mêmes, l’incarnation non objective d’une sociabilité:

Les réseaux ne sont jamais accessibles qu’au travers de représentations, lesquelles sont autant de points de vue subjectifs sur les réseaux à l’étude. Les travaux sur l’épistolaire, entre autres, l’on en effet mis en évidence: il n’existe pas de source «objective», de document neutre en ce qui concerne les relations entre individus; qu’ils soient médiés par l’écrit ou l’image, ils ont été produits par un individu ou un groupe d’individus dans un contexte particulier, avec des objectifs particuliers, il y a eu médiatisation, re-présentation des relations au moyen du texte ou d’un autre support. Ainsi, si la lettre est le signe d’une relation concrète entre individus, elle est aussi sa mise en scène, sa représentation dans le cadre du genre épistolaire (2003: 484).

Si le commentaire est, à l’image de la lettre, un signe qui représente le lien de sociabilité établi entre deux interlocuteurs, il est toutefois une mise en scène minimale des liens qui unissent les blogueurs entre eux. En effet, les commentaires sont relativement brefs, n’excédant guère plus que cinquante mots. Dans la plupart des cas, on peut même dire que les commentaires se résument à une dizaine de mots, à une impression fugitive. Cette brièveté n’est pas étrangère aux formulations langagières abrégées utilisées dans les réseaux sociaux que sont Facebook et Twitter, par exemple, ou encore à la manière du clavardage et des messages textes envoyés par les téléphones portables. On pourrait donc penser que les commentaires, si l’on pousse l’idée de leur caractère bienséant et de la pauvreté de leur contenu, ne sont que la marque d’une sociabilité et rien d’autre. Or, une telle conclusion serait rapide. Le commentaire, quoique pauvre en soi sur le plan du contenu, permet justement d’établir des points de contact entre les différents agents de la blogosphère et de construire ainsi une communauté menant, ultimement, à une légitimation de l’écriture. La reconnaissance par les pairs est essentielle dans le processus de légitimation bien que celui-ci, dans le cas des blogues, ait cours en dehors des cercles officiels. De plus, malgré la complaisance de ces échanges entre blogueurs, l’espace du commentaire est également occupé par les identités respectives des internautes. Ces derniers ne laissent pas seulement derrière eux un banal message d’appréciation: ils peuvent faire don également d’un univers littéraire par l’entremise de leurs pseudonymes qui auraient fonction d’hypertexte. L’identifiant renvoie directement à un autre espace d’écriture (un blogue), à un autre réseau de sociabilité, à un autre monde.

En guise de démonstration
Un seul exemple tiré d’un de ces blogues littéraires permet de voir en quoi le parallèle avec le salon littéraire est intéressant et opératoire. Nous avons dit plus tôt, à la suite de Broudoux, que les jeunes intellectuels étaient ceux dont les blogues étaient le plus susceptibles d’être qualifiés de littéraires; l’exemple qui suit est tiré du blogue Saint-Henri, tenu par Clarence L’inspecteur, pseudonyme d’un candidat au doctorat en études littéraires à l’UQÀM proche du Salon double[3] et dont nous ne révélerons pas la véritable identité, par respect pour son anonymat (si tant est que l’anonymat soit possible dans le milieu très restreint des études supérieures en littérature au Québec!):

Ça fait maintenant plus d'une semaine que je n'ai rien écrit ici, ce qui me fait me questionner sur la pertinence de cet espace, dans ma vie, dans la tienne, dans la vie des autres. Je ne sais plus vraiment quoi faire avec Saint-Henri, à part le maintenir en vie. Remarque, j'ai jamais vraiment su où je m'en allais avec ça. Je sais pas non plus d'où vient mon relâchement. L'année dernière j'écrivais tous les jours. Peut-être que je suis influencé par le fait que mon blogroll (par définition les gens que je lis le plus et qui me lisent en retour) semble être sur le respirateur artificiel. L'année dernière il me semble que je jouais dans une cour d'école pleine de petits culs vraiment enthousiastes. Et là, tout le monde a gradué ou je sais pas, tout le monde s'est rendu compte qu'il y avait un McDo de l'autre côté de la rue faque tout le monde passe la récré au complet au McDo à se manger des gangbang pis y a pu personne pour jouer à tag ou aux quatre coins. En même temps, c'est même pas vrai: y a encore plein de monde, faut juste les trouver. C'est moi qui est rendu trop paresseux. Là-bas, ils préparent une grosse conférence sur l'univers des blogues. L'année dernière, j'aurais participé avec passion, j'aurais même participé sous mon pseudonyme, avec un chapeau pis tout, pour ajouter à l'illusion pis à la magie. Mais non, la magie c'était l'année passée. L'année passé [sic], on écrivait des récits communs en épisodes multiples, qui tournaient autour de la mort de l'un d'entre nous. L'année passée on écrivait des hommages virtuels en gang à la grande littérature française. Maintenant, on se rabat sur Twitter, qui nous apprend plein d'affaires, et surtout à ne plus écrire aucun mot au complet (2011: [en ligne]).

Ce billet exprime, bien qu’en négatif, l’interaction entre les blogueurs typique du champ qui est en train de se former: on trouve dans le billet toute une série de liens hypertextes pointant vers d’autres billets, d’autres sites et d’autres blogues dont l’auteur et ses lecteurs (eux aussi blogueurs) peuvent se reconnaître. On voit que des thèmes se sont diffusés au sein de son réseau de sociabilité et que des projets menés en collégialité[4] ont émergé de la pratique du blogue de ce réseau en particulier. L’auteur fait référence à la liste des blogues «amis», la blogroll, qui agit comme support à une communication virale typique de la blogosphère où le lecteur d’un site pointe vers ce site sur le sien et, en échange, l’auteur du site lui retourne la faveur, et ainsi de suite —l’explication est alambiquée mais le concept est plutôt simple. Toutes ces références sont destinées évidemment aux happy few, à ceux qui sont concernés par ces projets, par ces jeux littéraires ayant cours sur le blogue Saint-Henri et sur ceux du réseau de Clarence L’inspecteur. Cela n’empêche pas les lecteurs non-avertis, les néophytes, de cliquer sur les liens et de remonter la ligne du temps pour prendre connaissance de ces jeux dont ils ignoraient l’existence. N’empêche que ce billet illustre fort bien l’esprit de salon qui règne sur la blogosphère. De plus, les commentaires suscités par ce billet sont en général écrits sur le même ton: une nostalgie de cet «âge d’or» où le réseau était véritablement vivant.

Il n’y a pas eu de nouvelle révolution
Si le blogue «emprunte» autant à la dynamique des salons (littéraires ou de thé), il y aurait lieu de penser, à la suite de Thérenty, qu’il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’une nouvelle révolution, mais bien plutôt du prolongement de la révolution médiatique entamée au XIXe siècle:

Un certain nombre d’effets engendrés par l’écriture sur blog relèvent moins de la révolution numérique que de la révolution médiatique et notamment tout ce qui relève de la quotidienneté, de la périodicité et du recueil. Le support web a permis de prolonger cette poétique inventée au XIXe siècle avec la révolution médiatique (2010: 61).

Nous ne nions pas le fait qu’il y a dans le blogue un potentiel que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire. À cet effet, d’ailleurs, il faut lire le texte d’Amélie Paquet paru récemment dans Salon double et traitant lui aussi du blogue littéraire. «À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, [écrit-elle,] je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde» (2011: [en ligne]). Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre. Thérenty, pour sa part, souhaite de la part des commentateurs du Web un peu de retenue, de «prudence historique», lorsqu’ils examinent le phénomène des blogues:

Par ailleurs, ces observations voudraient inviter aussi les commentateurs enthousiastes du Web à un peu de prudence historique. Les conséquences de l’entrée de la civilisation dans l’ère médiatique au XIXe siècle n’ont quasiment pas été étudiées pour la littérature; il ne faudrait pas pour autant imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment, le jeu sur les frontières entre référence et fiction… (2010: 61)

Cette invitation n’est pas un pied de nez aux artisans du Web 2.0, au contraire: Thérenty souligne d’ailleurs que les blogues amplifient et renouvèlent des pratiques issues de la révolution médiatique du XIXe siècle. De la même manière, les blogues reprennent l’éthique et l’esthétique des salons tout en les adaptant à la nouvelle réalité qui leur permet d’exister. Il nous semblait toutefois important de montrer et d’exprimer clairement que la pratique de l’écriture sur blogue n’est pas surgie ex nihilo. C’est dans cette optique que nous rapportons les propos d’Oriane Deseilligny, qui rapproche les blogues à la pratique plus que centenaire des écritures de soi:

Certes, comme dispositif éditorial et communicationnel, le blog est bien sans précédent dans l’histoire des supports. Toutefois sur le plan discursif, il hérite de formes ancrées dans l’histoire longue de la culture écrite. […] [C]omme format spécifique de publication et comme structure de production textuelle préformatée, le blog réinvestit et automatise des formes textuelles, discursives et de communication écrite bien plus anciennes à l’écriture de soi (2010: 73-74).

Une seconde oralité?
Par ailleurs, le lecteur de blogue, bien qu’invisible et virtuel, possède un avantage que le lecteur courant n’a pas puisqu’il peut, comme c’est aussi le cas dans un salon littéraire, converser avec l’auteur. L’aspect communicationnel s’élabore de manière singulière dans le cas des blogues. Selon Walker, la venue du blogue est la résultante d’un retour de l’oralité dans nos sociétés. Reprenant les travaux de Walter J. Ong (1982), Walker se penche, dans Blogging, sur le passage de l’oralité à la littérature écrite pour mieux comprendre l’incidence culturelle du blogue. Ainsi, la transition qui s’est effectuée entre l’imprimé et les médias électroniques s’apparente à une seconde oralité. Il s’agit en quelque sorte d’un retour à une culture plus proche de celle de la Grèce antique que de l’ère post-Gutenberg. Le caractère oral du blogue lui vient de sa forme en constante modulation, de la langue qui y est déployée plus près du langage de tous les jours et de sa teneur sociale. Walker fait d’ailleurs un lien avec les travaux de Platon concernant le texte écrit qui représente, selon lui, une déresponsabilisation de l’auteur (2008: 65). Le texte écrit demeure silencieux devant les inflexions du lecteur. Il ne peut établir de communication entre l’auteur et le lecteur, ce que le blogue peut faire. Le lecteur de blogue peut adresser une question à l’auteur du billet qu’il vient de lire. L’auteur est en mesure de répondre aux interrogations de manière relativement instantanée, favorisant ainsi le dialogue entre les différents agents du discours, que ceux-ci soient en amont ou en aval du texte. Ce sont ces interactions qui font penser que le blogue est plus proche de la culture orale que de la culture de l’écrit. C’est à peu près ce qu’Isabelle Escolin-Contensou rapporte elle aussi, en citant d’autres penseurs de la communication:

Danah Boyd s’intéresse au blog en tant que processus de communication entre blogueurs tour à tour auteurs/orateurs et lecteurs/auditeurs. Elle assimile alors l’exercice du blog à celui du discours d’opinion tenu en public. Le blog emprunte ainsi des traits à la «seconde oralité»: autorité partagée, énonciation à la fois engagée, subjective et objective, et enfin agrégation et montage des éléments textuels (2010: 18).

Cette seconde oralité redore également le blason de la blogosphère en présentant le commentaire certes comme un espace complaisant, mais plus encore comme l’incarnation matérielle de la responsabilisation de l’auteur par rapport à son discours, ce que le livre ne peut véritablement proposer et ce, même si cet auteur utilise un pseudonyme. Bien que l’on soit en présence d’une incarnation virtuelle, le blogueur se prononce de façon réelle. L’échange est public et visible. Or, contrairement aux autres manifestations issues d’une culture de l’oralité (donc non exposées aux technologies permettant de fixer sur bande des performances orales), le blogue possède une pérennité. Il allie la permanence du texte écrit à la responsabilité de l’œuvre orale. Comme le texte imprimé, le blogue offre une empreinte lisible de l’univers qu’il déploie, un univers auquel on peut aussi se référer ultérieurement. Il laisse également des traces visibles des réseaux de sociabilité qui s’élaborent entre les différents agents de ce milieu littéraire parallèle. Le blogue se situe donc à cheval sur deux traditions littéraires, l’oralité et l’écriture, jouissant ainsi de l’effet de responsabilisation de l’un et de la pérennité de l’autre.

 

 

[1] Nous orthographons «blogue» de cette manière puisqu’il s’agit de la francisation officielle du terme «blog» adoptée et recommandée par l’Office québécois de la langue française. Néanmoins, on retrouvera dans notre texte des occurrences de l’anglicisme «blog» puisque certains critiques, en France notamment, utilisent cette forme. La Commission générale de terminologie et de néologie a officialisé l’expression «bloc-notes» pour traiter du blogue, mais il y a là risque de confusion avec les autres acceptions du terme.

[2] Pourquoi alors considérer la blogosphère comme étant un bassin potentiel de littérature et non pas les autres réseaux? Nous ne prétendons pas détenir de réponse à cette question complexe, mais peut-être faudrait-il, à notre avis, explorer du côté du caractère public des blogues, accessibles généralement par tous (à moins d’être privé) et ainsi non réservés à un cercle «d’amis» comme peut l’être Facebook. Puisque, après tout, ce n’est pas la longueur qui détermine la littérarité: il existe déjà des études sur les productions littéraires sur Twitter, autre réseau social désormais célèbre, à l’origine d’ailleurs du néologisme twitterature. On pense entre autres à l’Institut de twittérature comparée, qui niche sur le web, ou encore au livre Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets or Less d’Alexandre Aciman et Emmett Rensin (2009).

[3] Il est d’ailleurs amusant de constater que Salon double flirte (peut-être) aussi avec le salon littéraire, par son nom, d’abord, puis par sa fonction, celle d’observer la littérature contemporaine et d’en discuter avec ses lecteurs et ses collaborateurs. Cette affirmation n’est toutefois guère plus qu’une opinion, puisque nous ne sommes pas en mesure de déterminer s’il existe une proximité réelle entre le projet de Salon double et celui du salon littéraire.

[4] Il y aurait là matière, d’ailleurs, à mettre ces projets élaborés en collégialité en parallèle avec tous les jeux organisés dans les salons littéraires du XVIIe siècle: concours de madrigal, hommages dissimulés à d’autres salonniers, etc. L’équivalent actuel serait sans doute les vases communicants, projet collectif entamant sa deuxième année et au sein duquel, une fois par mois, certains blogueurs permutent leurs blogues entre eux: l’un écrit sur le blogue de l’autre, et vice-versa. Les vases communicants sont répertoriés à chaque mois par de nombreux blogueurs, dont François Bon, ainsi que sur Facebook et Twitter.

 

 

Bibliographie

Alexandre ACIMAN et Emmett RENSIN (2009), Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets of Less, New York, Penguin.

Laurence ALLARD (2005), «Termitières numériques: les blogs comme technologie agrégative de soi», dans Multitudes, no21: «Postmédia, réseaux, mises en commun», p.79-86.

Danah BOYD (2004), «Broken Metaphors as Liminal Practices», [en ligne]. [Texte cité par Isabelle Escolin-Contensou (2010)].

Évelyne BROUDOUX (2010), «L’exercice autoritatif du blogueur et le genre éditorial du microblogging de Tumblr», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.33-42.

Étienne CANDEL (2010), « Penser la forme des blogs, entre générique et génétique », dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.23-31.

CLARENCE L’INSPECTEUR (2011), «Saint-Henri: Preguiça», dans Saint-Henri, samedi le 25 juin 2011 [en ligne]. (Page consultée le 14 juillet 2011).

Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC’H (2010), «Introduction», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.7-12.

Oriane DESEILLIGNY (2010), «Le blog intime au croisement des genres de l’écriture de soi», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.73-82.

Isabelle ESCOLIN-CONTENSOU (2010), «le blog, nouvel espace littéraire entre tradition et reterritorialisation», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.13-22.

Alexandre GEFEN (2010), «Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.155-166.

Institut de twittérature comparée, [en ligne]. (Page consultée le 3 août 2011).

Michel LACROIX (2003), «Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», dans Recherches sociographiques, vol.44, no3, p.475-497.

Michel LACROIX et Guillaume PINSON (2006), «Liminaire», dans Tangence, no80, p.5-17.

Antoine LILTI (2005), Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard.

Geert LOVINK (2007), «Blogging, the Nihilist Impulse», dans Eurozine [en ligne]. (Page consultée le 15 mai 2010).

Office québécois de la langue française, «Blogue littéraire», dans Le grand dictionnaire terminologique, [en ligne]. (Page consultée le 14 juillet 2010).

Walter J. ONG (1982), Orality and Literacy, New York, Routledge.

Amélie PAQUET (2011), «Une littérature qui ne se possède pas. Réflexions sur le blogue littéraire», dans Salon double, observatoire de la littérature contemporaine, [en ligne]. (Page consultée le 14 juillet 2011).

Barbara SÉMEL (2010), «La culture du macaron. Un nouveau genre, une nouvelle sociabilité, une nouvelle vitrine?», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.95-102.

Marie-Ève THÉRENTY (2010), «L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.53-63.

Olivier TRÉDAN (2010), «Itinéraire d’un blogueur: entre quête de reconnaissance et visibilité limitée», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.83-93.

Jill WALKER RETTBERG (2008), Blogging, Cambridge, Polity Press (Digital Media and Society).

Commentaires

L'erreur de ne pas tout dire

Cet article est certainement insuffisant. Il ne dit pas tout du phénomène des blogs de création littéraire, surtout pas de la littérature en contexte numérique. Il s'arrête sur un volet spécifique, qui est de voir dans les commentaires de blogs littéraires non pas un lieu de discussion (entendre : de critique entre pairs) mais plutôt un lieu de mise en lien, d'établissement de connivence, de représentation de soi. Ce qui est courant dans les blogs réflexifs ou scientifiques (des échanges critiques basés sur une dialectique ouverte) est montré ici comme peu commun du côté littéraire.

Et puis alors ? Jeter un regard sur une dimension spécifique d'un phénomène plutôt que de tenir un propos trop général est à mon sens un signe de prudence et de respect pour son objet. Nulle attaque perceptible contre la littérarité ou la nature spécifiquement numérique des blogs. Simplement un regard sur la légitimité qui se dessine dans une communauté (elle est une notion de base en sociologie, et n'est pas pour autant un signe de décrépitude de la blogosphère).

Évidemment, l'antéchronologie des entrées publiées, son rythme, les jeux de rappel, la bataille contre la fosse à bitume du temps qui passe... toutes des questions poétiques qui restent sans réponse. Idem pour la question de la lecture de blog à blog (ou plutôt : de l'écho d'un blog sur un autre) n'est pas prise en charge — ce qui aurait pu être passionnant, mais étourdissant à traiter, on en conviendra. Les « réseaux sociaux » ne sont pas étudiés non plus (mais sont-ils vraiment plus le lieu d'une réception argumentée ? pas sûr...). Le corpus est établi de façon très ouverte (place, oui, à la piétaille blogueuse, parce qu'elle forme une des limites de ce champ), avec des effets de déformation inévitable sur certains secteurs de la blogosphère. PLL et GD ne font pas de cet article un manifeste depuis leur propre pratique, préférant une distance critique sur un phénomène qu'ils ont observé ; ce n'était pas leur objectif et probablement pas le lieu (puisqu'ils portaient leur chapeau de lecteurs, oui, universitaires — dommage que ce soit une tare). Ils ont commis le péché, véniel, de ne pas dire clairement tout ce qu'ils n'ont pas abordé... Commun dans un contexte où les réflexions s'établissent peu à peu.

Simplement une traversée de la question de la socialité. D'autres viendront pour discuter, poursuivre ou reprendre le travail ici proposé. Eux-mêmes reviendront sûrement pour discuter de propositions singulières, de sites stimulants, de phénomènes en porte-à-faux. La positivité du phénomène pourra être abordée de front. Soyons patients et poursuivons les échanges...

merci - discussion trop

merci - discussion trop importante pour ne pas la remettre dans ce contexte - et y être ensemble - f

C'est bon !

J'ai bien compris qu'il fallait utiliser de grands mots pour ne pas pas être renvoyé à la fin du blogroll..

Bon amusement avec votre complice

a.

 

 

 

impossible pour moi, chère

impossible pour moi, chère Geneviève, cher Pierre-Luc, de comprendre ou suivre vos prédicats dans cet article

quasiment du début à la fin

je récuse approche qui fasse d'un côté "écrivain reconnu" et de l'autre côté les blogueurs : par exemple, le site de Catherine Mavrikakis est un site mort, puisqu'elle ne s'en occupe pas, alors que Pocahontas http://lemondenecritplus.blogspot.com/ est une démarche d'écriture qui signifie dans le contemporain

je récuse votre approche des blogs par la "socialité" que vous décrivez – transplantez les mécanismes que vous décrivez à 30 ans de distance, et les mêmes processus de validation symbolique qui passent désormais par le web ont des équivalents dans le monde de l'édition papier

je récuse votre partage globalisant, avec les qualifications sur le je, l'intime etc : les mêmes catégories pourraient très bien s'appliquer à la littérature papier publiée 

il n'y a pas une généralité de la littérature imprimée d'un côté, et une généralité des blogs de l'autre  : il y a les mêmes champs de tension qui traversent les deux – l'erreur conceptuelle que vous faites, c'est de sortir l'instance de "légitimation" (presse, critique, ronron universitaire à propos duquel j'ai déjà contesté à votre Salon Double l'élimination de fait des blogues de création québécois, y compris les vôtres) de ces champs de tension : le travail de lecture qui s'élabore de blog à blog n'est pas seulement une instance de légitimation (ou pire, comme vous le sous-entendez, d'auto-légitimation)

vous passez à côté d'un concept essentiel : c'est la structuration même (et il faut travailler de près son historicité, en particulier pour la période presse/feuilleton que vous considérez apparemment comme une entité fixe) des instances de publication qui depuis Ste-Beuve et Nerval a institué un système critique séparé des instances d'écriture – le déplacement radical du web, c'est de remplacer cette séparation par une continuité lecture/écriture

en ce sens, votre approche du "commentaire convenu et agréable" n'est pas adaptable à ce qui se joue en ce moment dans la bascule numérique des pratiques littéraires, et notamment ce qui se joue dans les expériences collectives, pas seulement "vases communicants" qui n'est pas un joujou de bac à sable comme vous le dites, mais "convoi des glossolales", "807" et bien d'autres, vous devriez aller y regarder de plus près

il faut que vous acceptiez, même si ça vous fait violence, que le statut social de l'auteur (la constitution très récente du concept "écrivain" au 17e) n'est pas fixe dans la bascule numérique – vous ne sauverez pas les privilèges du vieux monde

la violence de ma réaction tout à l'heure, dont je m'excuse, c'est de ne pas comprendre comment c'est vous qui venez tenir ce discours de l'auteur reconnu d'un côté, de la piétaille blogueuse de l'autre – ce discours a toujours été faux dans les processus de légitimation/validation, suivre ce qu'il en fut pour Baudelaire, Rimbaud, Proust ou qui vous voulez (désolé de m'en tenir à ma sphère frinçaise) – alors que c'est précisément vous, en vous saisissant des enjeux contemporains via la liberté radicale de l'écriture ("le monde écrit" de Geneviève) êtes les premiers concernés par cette bascule

il n'est pas possible, là où vous en êtes de vos pratiques personnelles d'écriture, même si je connais moins le travail de Pierre-Luc, de ne pas construire les concepts de votre approche : des mots comme "amalgame", "grégaire" et plein d'autres dans votre texte sont méprisantes à l'égard de ce qui se joue DE (je souligne) la création littéraire contemporaine dans l'espace contemporain de la pratique web – côté gauche de votre couloir, le travail de JM, côté droit, le travail de MHV sont parfaitement incompatibles avec ce billet

qu'est-ce que ça à voir avec la sous-daube que vous venez mêler à votre approche, genre "Gala Blog'Or"... ayez pitié, on n'a pas mérité ça... Pocahontas n'est pas "girly", ou alors faut vous faire lire 4 fois à voix haute tout son blogue... 

la quantité de détails qui lèse cet article – non pas écrit trop vite : écrit "contre" vous-mêmes, comme si vous deux vous vouliez dresser un rempart contre là où vous êtes, avec votre élan et votre casse de langue : il est où, le blog de Simon Brousseau, ou les Fourchettes de Sarah-Maude, dans votre tentative de rassurer vos patrons universitaires (ceci, R, pour te forcer à répondre, en frère!), bien rassurer la fac : non non, tout va bien, les blogueurs s'amusent, mais le travail sérieux peut continuer... j'ai bien peur que la fac soit déjà ailleurs - "le blogue privilégie plusieurs types d'écriture à la fois" mais qu'est-ce que c'est cette banalité, et "quête narcissique" qui suit... et le "pseudonyme", il n'y en a jamais eu en littérature imprimée ? 

allez, au boulot les copains... le texte d'Arnaud M dans http://www.publie.net/fr/list/rechercher/page/1/date?q=sites+%C3%A9critures me semble pourtant infiniment plus proche de ce que je sais de vous deux, que cet exercice pour faire semblant d'être sage

et pas de "chicane", rien que de l'amour !

 

Ceci n'est pas un justificatif

 

Clin d'oeil, d'entrée de jeu, au titre d'un blogue que j'ai tenu pendant deux ans environ. Il est d'ailleurs bon de noter, je crois, qu'à nous deux, Geneviève et moi avons blogué à ce jour pendant neuf ans, tous projets confondus. Nous n'écrivons donc pas "contre nous-mêmes" — et Geneviève l'a bien précisé dans son commentaire.

Nous écrivons plutôt à partir de nous même, c'est-à-dire que notre expérience de blogueurs et de lecteurs de blogues a été mise à contribution dans cette étude, qui ne s'intéressait pas au contenu des blogues à proprement parler, mais bien plutôt à leur sociabilité, raison pour laquelle nous n'avons pas constitué et analysé de corpus. Ce qui ne permet pas de dire que nous jetons tout dans le même panier; la réaction épidermique que nous avons constatée sur Twitter, par exemple, à la suite de la publication de notre réflexion, péchait justement par excès de ce qu'elle nous reprochait. De la même façon, nous n'opposons pas le blogue au livre papier; les deux pratiques sont tellement différentes qu'elles ne peuvent pas être analysées avec les mêmes outils. Nous le précisons en introduction.

Nous avons tenté de rapprocher l'écriture blogue aux activités qui se tenaient dans les salons littéraires puisque, à notre avis, il y a entre ces deux phénomènes de nombreuses similitudes, ne serait-ce que leur position en marge du livre. Ce qui ne veut pas dire que ce que l'on constate dans l'écriture blogue soit tout à fait différent de ce qui se pratique comme écriture dans les livres publiés de façon plus traditionnelle. Nous n'avons pas, de fait, affirmé une telle chose.

De plus, nous n'avons pas tenté de rassurer qui que ce soit, et nous ne ressentons pas ce besoin. Le présent texte est une réflexion que nous avons choisie de tenir par intérêt personnel et intellectuel. 

Je reviens au titre de mon commentaire : ceci n'est pas un justificatif. Parce que, à mon avis, la réflexion que nous avons tenue est honnête et ne nécessite pas que l'on s'explique outre mesure. Nous n'anticipions pas du tout de réaction enflammée parce que nous n'avons pas écrit ce texte avec amertume ou vitriol; nous tenions simplement à réfléchir à la fonction du commentaire et à la sociabilité des blogues "littéraires", ce qui ne peut pas vraiment être récusé, à notre avis. Et si nous mettons le qualificatif de littéraire entre guillemets — et non pas le terme blogues, nous avons été mal cités sur Twitter —, c'est faute de pouvoir déterminer ce qu'est exactement qu'un blogue littéraire (la question de la littérarité est délicate, il faut l'admettre). Une entreprise de poétique, de typologie et/ou de classification que nous n'avons pas entamée dans notre réflexion parce que là n'était pas notre intérêt. D'ailleurs, c'est rendre hommage au blogue, d'une certaine manière, que d'affirmer qu'on ne sait trop comment en traiter. À l'origine de notre texte se trouve une curiosité intellectuelle pour le phénomène que nous comptons mettre à l'épreuve de nouveau dans un futur proche.

Prêter le flanc

Tout d'abord, je tiens à préciser que nous assumons pleinement la thèse défendue dans cet article. Je tenais à répondre à ce commentaire, car il me semble qu'il y a mésentente sur certains points. D'abord, notre article ne vise pas tellement à fixer un corpus de manière rigide, puisque ce n'est pas là l'objectif de notre travail. Nous désirons cerner un phénomène : la sociabilité des blogues littéraires. On croit que le statut d'un blogueur néophyte et non publié n'est pas le même que celui d'un écrivain reconnu dans le champ littéraire. Tous deux n'ont pas le même poids sur les scènes littéraire et numérique. De plus, le lien établit entre les salons et la blogosphère sert à cibler, entre autres, le ludisme qui anime les échanges entre blogueurs. Rien à voir avec ce que vous appelez, à tort (et là, je crois que vous nous prêtez de bien basses intentions), "un joujou de bac à sable". Personnellement, puisque vous avez pointé nos pratiques personnelles d'écriture à Pierre-Luc et à moi, je crois que nous n'avons nullement écrit contre nous-mêmes. Nous sommes conscients des enjeux qui gouvernent cet espace qui demeure parallèle encore à ce jour. Nous avons voulu rendre compte de certains enjeux qui relèvent, selon nous, de la sociabilité.

dont acte

dont acte, Geneviève et Pierre-Luc, et merci de ces réponses, même si je persiste à penser cette approche conceptuelleme fausse, pour le statut même de cette démarche globalisante, qui ravale les plus belles démarches de recherche et création au grand bruit général - difficile aussi de vous suivre dans une approche de la "socialité" qui ne prend pas en compte la micro-historicité de ses outils, notamment réseaux sociaux - le web ne se laissera pas ranger de cette façon dans les grands congélateurs universitaires - amicalement, quand bien même je préférerais ne pas être cité dans une approche qui m'est si étrangère

Notre engagement

Les commentaires de François Bon me semblent justes, et j’avoue être déçu de lire un texte qui aborde la blogosphère comme étant le lieu de froids calculs, avant même de poser la question de son intérêt dans l’histoire des communautés de pensée.

Il y a une insistance sur la légitimité (le mot est utilisé 9 fois...) dans votre texte qui m’agace profondément. La littérature n’a rien à voir avec la légitimité; la littérature légitime, c’est celle qu’on enseigne à l’Université. On ne peut pas penser le contemporain comme ça. Je serais bien curieux de connaître le discours que tenait «la critique» contemporaine du premier Tzara, ou encore celle d’Henry Miller, qui écrivait JE comme personne ne l’avait fait avant lui, tandis que Julien Green réfléchissait justement de façon il me semble plus légitime, en tout cas plus sage, dans les sillages de Gide. La nouveauté est toujours d’abord irrecevable, illégitime, et c’est ce qui fait son intérêt et son importance capitale (saluons au passage Hubert Aquin, Kathy Acker, Samuel Beckett, Charles Bukowski, Dosto, Flaubert, Sarah Kane, Jack Kerouac, William S. Burroughs et les autres.)

Un petit passage de Miller, parce que ça ne me semble pas complètement éloigné de ce qui nous occupe :

« There is only one thing which interests me vitally now, and that is the recording of all that which is omitted in books. Nobody, so far as I can see, is making use of those elements in the air which give direction and motivation to our lives. » (C’est dans TROPIC OF CANCER)

Allons lire ALL WORK AND NO PLAY, un projet dont la pensée est entièrement engagée dans un processus bloguesque, plutôt que de perdre notre temps sur des blogues où le copinage prévaut à l’écriture.

Quand François Bon dit que vous écrivez contre vous-mêmes, c’est aussi à ça qu’il fait référence, j’imagine. Votre texte sonne «arrière-garde», ne voit tout simplement pas les potentialités présentes et futures du blogue, lui refuse son importance en focalisant délibérément sur un aspect vil et superficiel qui n’est pas la norme, ne peut pas être la norme des sociabilités sur le Web. Vous donnez l’impression d’imaginer le pire afin de discréditer le meilleur. Je vous renvoie à Gilles Deleuze, qui répondait ainsi à ceux qui disqualifiaient le cinéma, sous prétexte qu’il s’agit d’un art commercial et «populaire» :

« L’énorme proportion de nullité dans la production cinématographique n’est pas une objection : elle n’est pas pire qu’ailleurs, bien qu’elle ait des conséquences économiques et industrielles incomparables. Les grands auteurs de cinéma sont donc non seulement plus vulnérables, il est infiniment plus facile de les empêcher de faire leur oeuvre. L’histoire du cinéma est un long martyrologe. Le cinéma n’en fait pas moins partie de l’histoire de l’art et de la pensée, sous les formes autonomes irremplaçables que ces auteurs ont su inventer, et faire passer malgré tout. » (C’est dans L’IMAGE-MOUVEMENT)


Enfin... je crois que notre débat montre à quel point il serait important pour nous, jeunes universitaires, de nous questionner quant à notre engagement. Vous semblez à l’aise avec la dissection, les considérations sur les «outils» à utiliser pour mener à bien votre réflexion, mais je crois qu’il faut aussi vous demander ce que vous êtes en train de faire avec ces outils. Il y a dans votre application quelque chose de si systématique qu’à terme, elle réduit le champ des possibles à une mécanique qui prive la blogosphère de son énergie vitale.

Et puis de l’autre côté, il y a un texte comme celui d’Amélie Paquet, « Une littérature qui ne se possède pas », que vous citez par ailleurs dans un contexte qui ne lui rend pas justice. Je le souligne parce que ça me semble important. Je crois que le texte d’Amélie Paquet travaille justement à penser le blogue en dehors des instances traditionnelles de la littérature imprimée. Vous réduisez sa réflexion à ceci :

«Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre.»

S’il vous plaît, prenez le temps de relire ce beau passage sur la gratuité, le don, le superflu... :

«Je pense aussi et surtout que la littérature sert à maintenir le contact entre les individus d’une communauté et que ce contact peut être maintenu grâce aux libres partages des expériences. L’écrit, par la forme qu’il adopte, permet un partage de certaines réalités au cœur de nos expériences qui ne seraient pas racontables à l’oral. Il y a aussi dans ces petites histoires individuelles laissées partout sur le Web quelque chose de superflu. Évidemment, on ne pourra pas toutes les lire, il y a en trop. La littérature, c’est aussi ça : être de trop, être superflu, être inutile dans un monde administré tourné vers la rentabilité. Le blogue me paraît à cet égard être bel et bien tributaire d’une logique propre à l’activité littéraire et un refuge de choix pour la littérature de demain.»

Voilà... Un refuge de choix pour la littérature de demain. Une façon stimulante d’interroger la positivité d’une pratique nouvelle, au lieu de l’appréhender comme si tout y était déjà joué.

Recentrer le débat

 

Je pense qu'avant de nous renvoyer à des textes qu'il faudrait lire (ou relire pour mieux les comprendre, puisqu'on semble prendre pour acquis que l'on n'a rien compris à rien), il faudrait lire celui que Geneviève et moi avons écrit et publié ici; nous ne discréditons pas le contenu des blogues littéraires, je souligne parce que ça me semble important : nous ne nous y attardons pas, tout simplement. Notre entreprise de réflexion portait sur le contexte de publication, le réseau, l'institution qui existe bel et bien autour des blogues. (Et les commentaires, j'y reviendrai.)

L'institution, ce n'est pas que cette université congelée que vous prenez en grippe tous les deux. Si le terme "légitimité" revient si souvent dans notre texte, c'est que c'est par cette question que nous nous sommes intéressés au blogue. Le blogue est protéiforme, il se laisse difficilement définir, mais il existe dans un certain monde; il ne surgit pas ex nihilo de par la volonté unique d'une quelconque avant-garde — encore faut-il croire que l'avant-garde est encore possible. 

Si je comprends bien, c'est la façon dont on a abordé le blogue qui cause ce type de réaction épidermique. Parce que notre texte ne dénigre pas la pratique d'écriture sur blogue. Loin de là. C'est pourquoi les commentaires révoltés et parfois paternalistes que nous essuyons en ce moment nous bousculent un peu : les réactions ne concernent pas notre texte, ni son propos, mais plutôt l'angle d'approche que nous avons adopté pour écrire sur les blogues. C'est malheureux, mais nous nous sommes commis et nous ne sommes pas à l'heure de revenir sur nos propos. Il y a d'ailleurs différentes façons d'aborder un sujet ou un phénomène. C'est pourquoi je suggère de relire notre texte — comme il nous a été suggéré d'en lire ou relire d'autres... — pour voir que notre intérêt concerne principalement les commentaires faits sur les blogues. 

Mais je n'en dirai pas plus, je ne me justifierai pas davantage. Parce qu'il y a un déplacement malheureux dans le débat — que je ne récuse pas, ceci étant dit. J'aimerais quand même que l'on pointe dans notre texte le ou les moment(s) où Geneviève et moi mentionnons explicitement que le blogue littéraire est irrecevable, indigne de notre intérêt.

Il y a aussi une drôle d'incompréhension à peine déguisée dans le fait de nous refuser une opinion (aussi différente que la dominante, on le voit bien) sur la sociabilité des blogues sous prétexte que nous bloguons (ou bloguions) et que nous sommes des jeunes universitaires. Encore une fois, le débat se déplace et s'éloigne de plus en plus des propositions que nous avons avancées dans notre texte. 

Et c'est ce qui m'apparaît le plus malheureux.

socialité double

il me semble qu'on commence à y voir plus clair dans ce qui (me/nous) gêne dans l'approche GD/PLL : 

- est-il possible d'aborder la "socialité" des blogs sans se référer à la même socialité de la littérature pré-web, non pas la forme historiquement très précise des "salons" mais l'histoire même de cette socialité dans la continuité de ses formes, y compris NRF ou Tel Quel pour les plus récentes ? – de même, sans se référer à la même socialité d'auteurs emblématiques, par exemple le temps social de Beckett (au temps des traductions Joyce par exemple) ou les quelques 3000 lettres en 5 langues qu'il a laissées

- et ce qui est pour moi le faux sens méthodologique de cette approche : considérer les blogs comme entité alors que c'est la littérature qu'il faut considérer comme entité – la bascule web de la littérature non pas alors comme un genre parmi les autres des pratiques littéraires, mais bien la totalité des faces hétérogènes des pratiques littéraires (y compris les mécanismes complexes d'édition et de "reconnaissance") jouant différemment dans l'univers numérique

- la possibilité (peut-être existante, mais alors il faut l'examiner de plus près) de séparer l'instance des blogs (en général) d'une mutation complète des pratiques et outils littéraires par le numérique, y compris dans la diffusion des livres et leur fabrication (fin des pratiques de stockage/tirage, numérisation déjà totale et ancienne de la chaîne de composition/impression), et des formes de récit et d'intervention littéraires qui ont forcément à intégrer les pratiques et usages de l'écriture (tout comme le lien roman épistolaire et essor de la correspondance privée au XVIIIe), incluant donc que nos usages privés de l'écriture comme notre constitution du monde comme représentation sont d'abord via le média numérique ? 

en défense des auteurs

Personnellement, je suis assez d'accord avec les points amenés dans l'article de Pierre-Luc et Geneviève. Je crois qu'il s'agit d'une analyse rigoureuse, détachée et documentée de phénomènes réels et vérifiables (même s'ils ne font pas justice à l'ensemble des pratiques et des expérimentations disponibles sur le web, bien sûr) qui ont lieu en ce moment sur la blogosphère, et non pas une charge pseudo-romantique et emballée sur ce que "devrait" être le blogue littéraire en tant que nouvel espace ou "refuge" pour la littérature de demain, whatever the fuck that means, quand ça, demain? En ce sens, il me semble beaucoup plus près d'une réflexion réelle et d'une mise à plat d'enjeux concrets que celui d'Amélie Paquet (ou des commentaires de Mrs Bon et Brousseau), qui, à force de chercher à déligitimer la légitimation et ses instances, à force d'enfiler les phrases ampoulées et les pseudo-logiques anti-commerciales, ne fait que noyer le débat dans une mare de romantisme mièvre. 

Ce texte a été écrit par deux personnes qui justement ont ou ont eu une pratique bloguesque dite littéraire et qui s'interrogent honnêtement sur ce que ça peut bien vouloir dire (du blogue de  critiques de lectures au journal de bord d'une ménopausée qui tripe sur Baudelaire, en passant par des trucs expérimentaux lus par une personne et demi). Ils ne prétendent pas que la blogosphère est un "endroit de froids calculs", ils disent seulement que, comme n'importe quel écrivain qui tente sa chance et cherche un minimum de reconnaissance (peu importe le contexte historico-médiatico-social), le blogueur utilise les moyens mis à sa dispositions, sans aucunement les révolutionner dans leur essence (en fait en les utilisant souvent de manière assez conservatrice... et si M Bon veut me pointer un super cool blogueur qui n'utilise ni blogger ni wordpress, qui a inventé sa propre plateforme, qui contôle ses codes html ou whatever et qui a le temps d'être un bon écrivain en même temps, parfait, on attend juste ça, j'imagine). Le commentaire et l'échange sont en effet les outils idéaux afin de "monter son réseau" et étendre son influence. D'ailleurs, M. Brousseau, qui nous recommande d'aller lire ALL WORK AND NO PLAY, devrait se souvenir à quel point la réflexion de ce blogueur est axée sur ces mêmes grandes questions très concrètes sur l'acte de bloguer: pourquoi je fais ça? quelles sont mes motivations égoïstes et/ou atruistes? vais-je ou non révéler mon identité? en quoi consiste le rapport entre le blogueur et son "lectorat"? qu'elles sont mes dernières statistiques sur G. Analytics et par extenstion pourquoi suis-je aussi obsédé par elles?

Les textes de ALL WORK AND NO PLAY sur les blogues sont intéressants justement parce qu'ils refusent d'entrer dans la fausse opposition entre légitimité du champ officiel et supposée fraîcheur et révolution des blogues: ils se situent sur un plan neutre qui est capable de juger des avantages personnels de bloguer sans encenser la pratique outre mesure.

Je suis entièrement d'accord avec la démarche des auteurs de ce texte alors qu'ils tentent de cerner un objet fuyant à partir de sa base plus "populaire" et non pas à partir de ses quelques manifestations extraordinaires. L'immense majorité des "blogues littéraires" existants ressemblent plus, dans la forme et dans le fond, aux "Aventures d'une secrétaire célibataire" qu'aux aphorismes de Chevillard. Demandez-le à Clarence L'inspecteur, ou à Simon Brousseau, ou à Pierre-Marc Drouin, ou à Mélanie Jannard, qui sont loin d'avoir l'envie, ou même le loisir, de bloquer les commentaires, les échanges et le besoin de reconnaissance et de légitimité, aussi restreint soit-il, qui viendrait accompagner un contrat d'édition en bonne et due forme, afin de tomber dans une réelle "pratique" fictionelle 2.0. D'autres part, tous ces auteurs ont compris depuis longtemps qu'écrire des niaiseries est "payant" en termes de visites et de feedback, et que jouer sur la vérité et la fiction est avantageux et gratifiant sur le web d'une manière bien différente et bien plus instantanée que l'usage traditionnel du pseudonyme.

Je ne connaissais aucun des trois exemples nommés par M. Bon (vases communicants, 807 et le convoi des glossolales), je suis donc allé vérifier et je constate, entre autres: 1-que les commentaires publiés sur 807 sont pour la plupart assez proches de ce que les auteurs décrivent ici: soit des insides jokes incompréhensibles pour le nouvel arrivant, soit de brèves appréciations pleines de superlatifs; 2-que du côté des glossolales, il n'y a aucun commentaire, ce qui peut fait croire que chacun y va de sa petite contribution et que personne de se lit entre eux; 3- qu'il n'y a eu aucun billet de publié sur les vases communicants depuis février dernier.

Je ne prétend pas que ce texte de Pierre-Luc et Geneviève soit parfait, mais il me semble beaucoup plus humble, considérant que les auteurs sont loin de parler "contre" eux-mêmes, mais bien à partir d'une expérience qui n'est ni simple à résumer ni simplement sujette à l'exaltation, que certaines réflexions et commentaires qui ont été publiés ici.

Réponse à Daniel Grenier

Daniel, merci de prendre part à la discussion, ça permet sans doute de recentrer le débat comme le souhaite Pierre-Luc.

Je vais essayer d’être plus précis, moins romantico-révolutionnaire (!) dans ma réaction.

Ce qui m’agace avec le texte de Geneviève et Pierre-Luc, c’est qu’ils fassent du commentaire la spécificité du blogue littéraire : « C’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue. »

À la base, je pense que l’affirmation est fausse ; ce qui fonde le blogue, ce ne peut-être autre chose que l’écriture du billet. C’est le billet qui appelle les commentaires, après tout.

En lisant la réflexion proposée ici, on a l’impression de pouvoir dégager l’équation suivante : (1) C’est le commentaire qui fonde le blogue, (2) les commentaires donnent essentiellement lieu à des manoeuvres intéressées, qu’il s’agisse de lécher des culs ou encore de laisser sa carte de visite (idéalement, les deux en même temps !!!), donc (3) la blogosphère est d’abord et avant tout un lieu virtuel où se rencontrent des écrivains wanna-be assoiffés de reconnaissance.

En gros, ce qu’on retient, c’est que la blogosphère est régie par «un régime de complaisance et de politesse », témoigne d’une «forme de sociabilité privilégiant le consensus et le divertissement.» Pour ce qui est des textes, on apprend que les blogueurs «n’appellent pas à une évaluation esthétique de leurs écrits.»

Le portrait des commentaires qui est proposé est lui-même réducteur. Il n’est sans doute pas faux d’affirmer que les commentaires sont courts pour la plupart et expriment l’appréciation du lecteur. Est-ce que ça signifie qu’il s’agit d’une carte de visite, d’un geste nécessairement intéressé ? Encore une fois, j’ai du mal à le concevoir. On pourrait aussi penser que les lecteurs de blogues en lisent beaucoup et qu’ils n’ont tout simplement pas le temps ou l’envie de formuler des commentaires plus élaborés. Et pourtant, il arrive qu’on trouve des commentaires plus substantiels; ils donnent lieu à des discussions, et, d’une certaine façon, ce sont peut-être ces commentaires là, rares, qui font la beauté de la blogosphère. C’est arrivé sur ton blogue, sur le mien et sur bien d’autres.

J’ai beaucoup de mal à concevoir qu’on puisse tenir un blogue principalement par désir de reconnaissance. On écrit un blogue parce qu’on a le sentiment d’avoir quelque chose à dire, et le Web offre en ce sens une fenêtre unique. Je suis peut-être naïf, et peut-être aussi vis-je dans le déni, mais sérieusement, je me fiche pas mal de mon blogroll et des statistiques de fréquentation de mon blogue.

Puisqu’il a été question du texte d’Amélie Paquet, j’aimerais parler de son blogue. Déprime explosive existe depuis presque dix ans et son auteur y écrit de façon régulière. Si tu jettes un coup d’oeil aux dernières entrées, tu verras que, souvent, les textes n’engendrent aucun commentaire. Parfois, il y a un commentaire auquel l’auteur ne se donne même pas la peine de répondre. Déprime explosive représente ce versant «gratuit» de la blogosphère sur lequel j’insiste, cette pratique d’écriture qui se situe au-delà d’un simple désir de reconnaissance. Et on peut en dire tout autant de ALL WORK AND NO PLAY ! Tu as raison de souligner le caractère autoréflexif de ce blogue. Ce que je voulais signifier en le prenant pour exemple, c’est qu’il échappe à la logique économico-symbolique décrite par Pierre-Luc et Geneviève. On a affaire à un blogue dont les textes sont démesurément longs, un blogue qui engendre très peu de commentaires ! Son dernier texte, qui date d’il y a une semaine et qui fait près de 4000 mots, n’a pas encore été commenté. Et gageons que ça n’empêchera pas son auteur de continuer ! À l’inverse, il arrive qu’on commente longuement les textes de ALL WORK AND NO PLAY. Ça donne lieu à des échanges qui n’ont rien, mais absolument rien de la carte de visite...

Enfin, tu as raison de souligner qu’il s’agit de questions complexes. À mon avis, le texte de Pierre-Luc et Geneviève insiste tellement sur le capital symbolique en jeu qu’il en vient à oublier qu’on parle d’auteurs qui s’astreignent à une discipline quotidienne et qui témoignent d’un engagement réel dans une pratique qu’ils prennent au sérieux. À lire la réflexion proposée ici, on a l’impression, exagérons un peu, que la blogosphère est une parade de paons. Il y a sans doute  de cela, mais il y a bien plus.

PS : n’oubliez pas de cliquer sur mon nom, juste en haut. Ça vous mènera à mon blogue.



 

Une petite précision

Je précise simplement que l'idée que « c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue », tirée de notre texte, ne souhaitait pas réduire le blogue à ses commentaires, mais utilisait le commentaire pour différencier le blogue du site personnel, qui ne permet pas cette interaction écrivain-lecteur. Ça, et la publication rétrochronologique — la phrase complète étant : "Le blogue diffère donc du site personnel en raison de la potentialité communicative inscrite dans la démarche: c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue." 

Je comprends par contre qu'on puisse voir là un raccourci désolant.

Réponse à Simon Brousseau

D'abord, je ne crois pas que le texte prétende que le commentaire prévaut à l'écriture du billet lui-même, ce serait absurde venant d'une blogueuse qui a elle-même bloqué l'accès aux commentaires. Ce que le commentaire fait, c'est rendre le billet de blogue automatiquement "vivant" et donc, spécifiquement, indubitablement, différent de l'entrée de journal intime ou de carnet de bord personnel. Et arrêtez de me dire que c'est la même affaire que les 3 millions de lettres qu'Appolinaire a écrit à ses amis entre deux calligrammes.

Les auteurs sont loin de dénigrer l'écriture blogesque en affirmant ceci, ils ne font qu'analyser (je me répète) un phénomène qui est vérifiable (en opérant une analogie qui n'est pas dénuée d'intérêt bien qu'elle n'amène pas grand-chose à mon avis), au lieu de prêter des intentions à un "genre" qui de toute façon est quasi-indéfinissable. Pense à Patty O'Green, par exemple, qui n'a pas du tout de pratique "littéraire" (elle a plutôt une vraie réflexion sur le web et ses potentialités) mais qui est probablement une des blogueuses les plus sympathiques et les plus intéressantes qu'il m'ait été donné de fréquenter dans le petit réseau qui s'est créé au fil des ans, autant dans ses billets (divinement "écrits", c'est ce qui est fascinant), que dans ses réactions à ceux des autres. Elle a toujours remis en question l'étiquette de "littéraire" et on la comprend: elle ne se sent pas concernée, ça l'emmerde à la limite. Je veux dire, moi-même est-ce que je fais de la littérature sur mon blogue? C'est quoi mon pourcentage? Et le tien? Et celui d'Amélie Panneton? C'est quoi le pourcentage de conneries qu'on écrit qui n'ont rien à voir les unes avec les autres? C'est toujours quand on se met à essayer de circonscrire quelque chose que ça nous file entre les doigts.

C'est pour ça, à mon sens, que PLL et GD font bien de rapprocher le blogue littéraire de son équivalent généraliste plutôt qu'expérimental (le genre je publie mon roman conceptuel au complet, ou mes poésies constructivistes, sans ouvrir les commentaires, et je brûle mon ordi à la fin, pour détruire les traces, en espérant que personne ne l'ai lu): ça recoupe bien plus de monde et ce monde-là est loin d'avoir opéré la coupure avec ces vieilleries que sont les livres et les éditeurs traditionnels. Et plus spécifiquement, pour ceux et celles qui ont des ambitions littéraires sérieuses, ça recoupe l'idée qu'un blogue, c'est plus souvent qu'autrement un "en attendant" ou un "au pire".

Désolé d'être si catégorique, mais je parle à travers mon expérience personnelle et mes conversations avec des blogueurs ayant atteints différents niveaux de "légitimation" officielle. Des conversations qui ont souvent eu lieu dans des échanges de commentaires où, il est vrai, parfois on se lâche lousse et on discute, mais habituellement une fois qu'on se "connaît" bien. Et du monde comme William Messier (deux livres publiés, blogage intermitent), Pierre-Marc Drouin (alias Luc-pierre, le parfait salaud, deux livres, blogage abandonné aux dernières nouvelles), Je-Me-Moi, de All Work And No play (plus profonde réflexion sur ces questions que j'ai lue, aucun livre publié mais des vélleités d'écriture de fiction), toi, Simon (aucun livre publié mais également des ambitions littéraires autres que ce blogue que tu délaisses lorsque tu te mets à écrire "sérieusement"), Tattoo (alias Danny Émond, retour au blogage dernièrement, aucune publication, mais un des blogueurs purement littéraires les plus lus à Montréal avant la fermeture du Repaire des Solitudes), etc. etc. 

Ensuite, ce n'est peut-être pas naïf de croire que chacun d'entre nous qui bloguons de façon régulière le faisons avant tout parce qu'on a quelque chose à dire et non pas pour avoir du feedback, mais c'est certainement reposer la grande question de la création en général: pourquoi et surtout pour qui écrit-on ce qu'on croit tellement avoir à dire, Simon? Je veux dire, en bout de ligne, et c'est là la spécificité irrémédiable du blogue et des réseaux sociaux: l'interaction immédiate, rapide, avec une communauté de lecteurs/auteurs qui, comme PLL et GD le disent, n'ont pas d'autorité les uns sur les autres et donc, préférant ne pas se juger, laissent des traces sur des espaces qui leur semblent appartenir à un esprit semblable au leur, afin d'avoir l'impression de participer à quelque chose de plus grand que leur propre page wordpress ou blogger. Bien sûr qu'on aime tous l'écriture, la démarche, la littérature, bien sûr qu'on prend tous cela au sérieux, mais c'est justement cette logique inverse qui m'énerve dans cette argumentation, cette logique qui prétendrait que de chercher à se créer un lectorat ne fait pas partie de la game de "se prendre au sérieux" dans notre écriture, que ça ne participerait que d'une navrable logique marchande. Fuck off. Tout le monde veut être lu, en bout de ligne, même ceux qui ne sont pas obsédés par leurs statistiques, pas parce qu'ils ont un blogue, mais parce qu'ils sont des écrivains. Ce qui les définit en tant que blogueurs, ce n'est pas d'écrire du fragment ou du 4000 mots, c'est le pouvoir (dont ils se prévalent ou non) d'interagir pratiquement en tant réel sur ce petit champ littéraire qui se crée simultanément. Ça revient à ce que disait D. Maingueneau, que j'avais cité longuement dans un vieux billet, les écrivains blogueurs sont aussi et surtout des lecteurs et c'est ainsi que l'autorité traditionnelle est chamboulée.

Eille, ça s'en vient le fun icitte. On continue-tu sur Facebook?   

Salon doublement bon

Je cherchais depuis longtemps une réflexion un peu acérée sur les diverse qualités dites "littéraire" des blogs...Mon commentaire n'est pas du même genre que le précédent mais je n'ai pas l'excuse d'être blogueur et éditeur.

a.

En vous justifiant vous offrez votre flan(c) ...

... à Bon qui sur ce coup mérite le jambon !